CRAWFORD PALMER :
“ON EST PARTI DE ZÉRO, POUR NE PAS DIRE DU NÉANT”
Le vice-champion olympique à Sydney 2000 est de retour au Limoges CSP, dans un costume de directeur sportif qu’il avait déjà occupé au club il y a deux ans. Il a bâti une équipe avec des jeunes JFL, par nécessité économique et par stratégie. Formation et CSP, deux mots qui n’ont jamais rimé. Mais Crawford Palmer s’emploie à changer ce constat.
PROPOS RECUEILLIS PAR YANN CASSEVILLE
Vous avez déjà occupé le poste de directeur sportif du CSP entre 2019 et 2022, avant d’être écarté par Céline Forte. Pourquoi avoir accepté de revenir ?
J’étais effectivement parti il y a deux ans, même si on avait réussi à surprendre beaucoup de monde en 2021-22 (4e en Betclic Élite). J’avais coupé un peu. Et la deuxième année, j’ai cherché à revenir dans le milieu. Lionel Peluhet m’a demandé si j’étais intéressé. J’ai répondu « oui, à une seule condition » : avoir la main sur le sportif. Parce que c’était la frustration que j’avais pu avoir sur mon premier passage ici. On n’a parlé de rien d’autre.

Crowford Palmer : le directeur sportif du Limoges CSP.
Je connaissais les difficultés, pas dans les détails. Mais j’étais plus ou moins au courant. Ensuite, il y a eu cette longue et pénible attente – encore plus pour Lionel Peluhet que pour moi. Mais on était d’accord pour dire que s’il reprenait le club, je devais revenir. Ce délai d’un mois et demi avant que ça ne soit officialisé, fin juin-début juillet, avant de pouvoir commencer, c’était compliqué.
Il fallait d’abord rassurer ceux qui étaient sous contrat. Parce qu’il y avait eu un tel vide de communication, une telle cassure entre l’ancienne direction et le sportif. Et l’équipe avait quand même réussi l’exploit d’obtenir le maintien malgré des victoires en moins et en ayant été laissée à l’abandon. Ensuite, il fallait se mettre au travail sur la construction de l’effectif avec beaucoup de retard.
Avec la 14e masse salariale, vous avez travaillé à la fois dans l’urgence mais aussi en préparant l’avenir, engageant plusieurs joueurs sur trois ans (Vincent Amsellem, Alexandre Bouzidi, Mamadou Guisse…) ?
C’est ce qu’on a essayé de faire. Il y avait des contraintes budgétaires. Il fallait qu’ils aplanissent les comptes et savoir ou le club en était avant de pouvoir s’engager sur des sommes fixes. On est parti sur des sommes très basses. D’autant qu’on avait déjà des contrats engagés. Par exemple, Nicolas Lang était sur un contrat qui ne correspondait pas à la situation dans laquelle on était – même s’il le vaut largement ; Nicolas, je l’ai signé en arrivant au club la première fois.
Avec ces sommes engagées, on était coincé pour le reste de l’équipe. Avec les dirigeants, on a pu dégager juste assez pour faire ce qu’on a fait. On avait déjà démarré certaines négociations. Il a fallu les revoir encore à la baisse. Le projet de Monsieur Peluhet est sur trois ans, avec un objectif de maintien la première année et l’ambition d’être européen à l’année trois.
“JE PENSE DEPUIS TRÈS LONGTEMPS QU’IL Y A DE TRÈS BONS JOUEURS EN FRANCE, BEAUCOUP D’AVANTAGES Á TRAVAILLER AVEC EUX ET QU’IL FAUT, DE TEMPS EN TEMPS, SAVOIR LEUR DONNER LEUR CHANCE.” Crawford Palmer
Dans cette optique, j’ai trouvé que ça aurait été dommage de démarrer un projet juste en montant une équipe pour l’année 1. Certains clubs, comme Le Portel, arrivent année après année, avec des contrats d’un an, en allant cherchant des joueurs, à se maintenir voire performer. Mais personnellement, je pense depuis très longtemps qu’il y a de très bons joueurs en France, beaucoup d’avantages à travailler avec eux et qu’il faut, de temps en temps, savoir leur donner leur chance.
Et aussi, on évite certains problèmes quand on fait venir des joueurs de l’étranger. On a préféré monter ce projet avec des jeunes JFL qui ont du talent et le travailler sur trois ans, créer une base. On savait que ça serait difficile. Ça l’est, mais pour l’instant, on est dans notre tableau de marche. Parfois, on se permet de rêver un peu. Mais sans gagner à l’extérieur, c’est compliqué.
Depuis sa victoire à Nancy le 10 décembre 2023, le CSP a passé plus d’une année sans gagner le moindre match à l’extérieur. Il n’existe pas de malédiction dans le sport de haut niveau, mais une telle série ne finit-elle pas par rentrer dans les têtes ?
Au moins en interne, ce n’est pas quelque chose qui nous occupe l’esprit. Un an, oui, c’est une formule facile à retenir pour pointer du doigt. Mais on a une nouvelle équipe, donc moi, je ne pense même pas à la saison dernière, ça n’a rien à voir. Pour moi, c’est plutôt un manque d’expérience. On est un peu fébrile quand il faut être solide. Mais ça va tomber de notre côté – j’espère rapidement ! Si on continue à progresser, que nos jeunes trouvent vraiment leurs marques, que notre collectif se solidifie…
Et on a des joueurs qui n’ont pas encore exprimé leur talent. C’est le cas de Malik Osborne. A la base, il était prévu comme notre poste 4 titulaire. Aujourd’hui, c’est Kenny Baptiste le titulaire. Parce qu’il est performant et c’est le terrain qui parle, simplement Malik a un temps de retard dans l’adaptation de la Grèce à la Betclic Élite. C’est quelqu’un qui veut bien faire voire trop bien faire, rester dans les systèmes, tout ce qu’on lui demande, et ça le fait manquer de spontanéité. On espère qu’il va réussir à se débloquer, parce qu’on en aura besoin.
En tout cas, on travaille. On laisse nos joueurs prendre de l’expérience. Vous avez suivi l’épisode Tyrell Terry (meneur américain relancé après quasiment deux saisons blanches, qui n’a finalement pas été conservé). On avait tenté un coup, ça n’a pas marché. J’ai été assez critiqué de ne pas le remplacer rapidement. Sauf qu’on a gagné un match, un deuxième. Et ça m’a semblé être une opportunité pour Lucas Beaufort, qui a 22 ans mais tient la baraque, au moins défensivement.
Vincent Amsellem méritait sa chance. J’aurais aimé voir Alex Bouzidi avoir plus de rôle, mais il y travaille. Et on a Mamadou Guissé, Mo Diarra qui fait du bon boulot. On a une bonne base. Même si le jeu n’est pas toujours fluide, on veut faire grandir cette équipe.
La formation n’a jamais fait partie de l’ADN du club. A-t-il été difficile de convaincre les jeunes que vous allez vous efforcer de faire de Limoges un terrain d’expression pour eux ?
Quand je suis arrivé au club en 2019, c’est l’une des premières choses dont on m’a parlé : « On va faire un club formateur, miser sur les jeunes, etc. » Sauf qu’on partait de très loin, voire de zéro. On avait commencé à mettre des choses en place, à construire, et puis je suis parti.
Aujourd’hui, pour le centre de formation, dans la gestion, l’utilisation des salles, on n’est pas vraiment gâté. Il faut jongler avec tout ça. En revanche, ce n’était pas du tout compliqué de convaincre. Parce que beaucoup de monde parle de formation, mais sans savoir ce qu’il faut vraiment faire pour au quotidien. Le but de la formation, c’est de former des jeunes talentueux pour l’équipe professionnelle, voire plus haut. Ce n’est pas forcément les résultats bruts.
“POUR L’INSTANT, C’EST DIFFÉRENT D’AVANT. ON A DE LA PATIENCE, CE QUI N’EST PAS LA QUALITÉ PREMIÈRE DES LIMOUGEAUDS.” Crawford Palmer
Bien sûr qu’on veut gagner des matches. Mais la finalité n’est pas de monter des équipes pour gagner le Trophée du Futur. Aujourd’hui, le fait d’avoir la main, que l’on m’ait fait confiance à ce niveau, cela permet d’avoir une stratégie. Aujourd’hui, on commence à basculer. On est parti de zéro, pour ne pas dire du néant, avec l’équipe pro.
Et avec la patience qu’il faut, en atteignant les objectifs de l’équipe pro, on peut construire la base avec la formation. On a déjà de très bons jeunes, on met des choses en place. Pour l’instant, c’est différent d’avant. On a de la patience, ce qui n’est pas la qualité première des Limougeauds – c’est ce qui rend le travail excitant, il y a un haut niveau d’exigence – et je pense qu’on est sur la bonne voie.
Justement, après cette mission maintien 2025, la prochaine étape, à savoir que les jeunes franchissent un palier pour améliorer l’équipe, ne demande-t-elle pas encore plus de travail ?
On peut dire ça. Lancer, c’est important. Mais c’est le travail de tous les jours qui va faire en sorte que ça marche – ou que ça casse. Et ça va dépendre des efforts, du talent et des caractères des individus qu’on a recrutés. Est-ce que tout le monde va sortir au niveau de nos espérances ? On leur donne une opportunité, on montre qu’on croit en eux.
L’idée, avec ces contrats de deux voire trois ans – bien sûr, il y a certaines clauses –, c’est de construire avec cette équipe, d’une année sur l’autre d’avoir de la continuité, des automatismes. Quand j’ai discuté au tout début avec Lionel Peluhet, je lui ai dit : « C’est un projet de trois ans, mais si on veut bosser sur la formation, il faut parler de cinq ans ». Pour moi, si on est aujourd’hui dans une année 0 au niveau de l’équipe professionnelle, on est presque sur une année -1 pour le centre de formation.
“ON A COMMENCÉ DÉBUT JUILLET AVEC QUATRE OU CINQ MOIS DE RETARD SUR UNE SAISON. ET LE TRAVAIL QU’IL Y AVAIT Á FAIRE POUR NETTOYER UN PEU ET REPARTIR EST DIFFICILE A IMAGINER (IL RIT) IL FALLAIT TOUT RECONSTRUIRE ! “
Ce n’est pas du tout pour être péjoratif, parce qu’il y a du bon travail de fait, avec des personnes de qualité. Mais maintenant, c’est la bascule : comment on veut travailler, qui on doit cibler, les U21 et les U18, développer des créneaux pour le travail individuel technique, etc.
Tout en sachant que vu d’où on est parti, on n’a pas vraiment pu mettre le nez dedans à temps plein, parce qu’il fallait s’organiser. On a commencé début juillet avec quatre ou cinq mois de retard sur une saison. Et le travail qu’il y avait à faire pour nettoyer un peu et repartir est difficile à imaginer… (Il rit) Il fallait tout reconstruire !
Le staff élargi, Vincent Fontaine, les administratifs, s’y emploient. Là, on commence à s’en sortir. Et le message vis-à-vis de la formation se diffuse avec beaucoup d’enthousiasme. Et ceux qui en sont responsables peuvent désormais avoir leur nez dedans. On est dedans.
[Vous avez aimé cet article ? Prolongez la lecture avec l’interview de Lionel Peluhet le président du Limoges CSP. Sa vision, son projet, sa méthode. ] A lire ici 👈
Extrait du numéro 92 de Basket Le Mag (janvier 2025)
Retrouvez l’intégralité des articles dans le numéro 92
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