Journaliste et éditorialiste à RMC Sport, Daniel Riolo est l’une des voix du football à la radio. Il s’est mis au tout-terrain en publiant «Autopsie du sport français», un livre dans lequel il dresse «le vrai bilan» des sports majeurs dans l’Hexagone. Chaque discipline, dont le basket, a droit à son propre chapitre.

 

Propos recueillis par Yann CASSEVILLE, à Paris

 

Votre quotidien, c’est le football. Au moment d’écrire au sujet d’autres sports, dont le basket, aviez-vous un a priori sur chacun ?

La plupart des sports, je les connais, je suis les résultats. Ce que je ne sais pas, c’est comment ça fonctionne. Le basket m’intéresse. D’ailleurs, j’ai tiré beaucoup d’enseignements de discussions avec Jacques Monclar. Il commente la NBA, il a une vision entreprise, franchise, il avait pratiquement de l’avance sur ce que doivent être les grands clubs de foot, qui ont parfois un fonctionnement «à la papa», pas encore assumé à 100% business. Donc le basket m’intéressait. Après, je ne dis pas que je suivais le championnat de France, sauf pour savoir qui le gagne – malheureusement je pense que je ne suis pas le seul dans ce cas. J’avais forcément un a priori : l’équipe de France, ça va quand on arrive à avoir tous nos joueurs, rapport à leurs contrats US, et les clubs, ça n’existe pas, en coupe d’Europe il n’y a rien. Après, je suis rentré à l’intérieur : comment fonctionnent les coupes d’Europe, pourquoi on a choisi tel camp, etc.

Au final, dans votre livre, en comparaison avec le football, le basket s’en sort plutôt bien, non ?

Parce qu’il a une bonne vitrine. La vitrine, ce sont les 14 médailles internationales depuis 1999. Et de plus en plus de joueurs en NBA. Après, est-ce qu’on en profite en équipe de France ? Là, c’est le bordel. Que c’est alambiqué le basket ! Quatre coupes d’Europe, les fenêtres internationales… Dans quel autre sport, tu peux ne pas avoir tes meilleurs joueurs pour les matches internationaux ? C’est fou ! Au foot, quand un mec rechigne à venir en équipe de France, c’est un scandale, alors qu’au basket, c’est une logique 100% business. «Je dois respecter mon contrat avec mon club NBA.» C’est une vraie particularité du basket.

Dans plusieurs sports collectifs est abordée l’idée de ligue fermée. L’Europe est-elle prête ?

Dans le basket, en NBA c’est le business, et l’Euroleague est en train de faire pareil. Dans le foot, tout le monde est contre. Partout en Europe. Mais dans les faits, la Champions League est une ligue fermée. Si on considère que l’Euroleague est la Champions League, il y a des similitudes énormes. En Euroleague, tu n’as que 16 équipes, au foot c’est le double, donc tu as plein de possibilités d’y arriver pour des clubs qui ont moins de moyens, mais c’est un écrémage à la phase de poule. Dans les deux compétitions, tu as un ticket d’entrée. Aujourd’hui, en dessous de 400 M€, tu n’es pas en Champions League, et pour l’Euroleague, c’est une barrière à 12-15 M€, et en dessous de 10 tu ne peux pas exister.

Vous écrivez que l’excuse du manque de moyens financiers est souvent utilisé dans les sports collectifs, tellement qu’elle en occulte tout le reste et exonère de toute remise en question…

(Il coupe) Pas qu’en sport co. Quand au cyclisme, la Française des Jeux te dit : «On a 5 M€ de budget, Sky, c‘est le triple, c’est dur de rivaliser», qu’est-ce que tu veux dire ? C’est la même chose pour les clubs de basket. Tu n’as pas les moyens pour le très haut niveau européen, à part Parker dans son projet à l’ASVEL. Si tu n’as pas d’investisseurs, tu ne peux pas rivaliser avec les clubs russes, turcs, espagnols… On forme des joueurs, mais on les forme pour qu’ils partent de plus en plus vite. Pareil au foot. Nos clubs, hormis le PSG, n’ont pas les moyens de rivaliser en Ligue des Champions,. Aujourd’hui, on peut se demander comment vont faire Marseille et Lyon pour aller en huitième ou quart. S’ils ne doublent pas leur budget, ils ne pourront pas. Après, oui, pendant des années nos clubs ont répété «on n’a pas de blé» mais perdaient contre des équipes qui avaient moins d’argent. Quand Lyon perd contre l’Ajax l’année dernière, évidemment que ça devient une fausse excuse. Mais en basket, hormis l’Euroleague, dans les autres coupes d’Europe on se défend. Nanterre en a gagné une l’an dernier.

La quatrième…

Le problème, c’est que tu n’as aucune visibilité. Même l’Euroleague, le mec qui veut suivre sait à peine où c’est diffusé. Au foot, même l’Europa League est visible, les médias en parlent. Dans le basket, tu n’as pas de visibilité. Le championnat de France est maintenant chez nous (groupe SFR/RMC). Mais qui le regarde ? Ce sont des audiences ultra confidentielles. Donc le problème de l’argent, autant dans le foot, je le conteste beaucoup, autant dans le basket, je ne vois pas comment leur dire : vous avez tort. Après, oui, tu peux toujours progresser ailleurs. Par exemple constater que tu n’as pas d’entraîneur français dans les gros clubs. Ils disent : comme nos clubs ne sont pas visibles, on ne peut pas voir le travail du coach. Tu es obligé d’accepter l’excuse. Mais le constat, c’est que la seule grosse coupe d’Europe qu’on a, c’est Limoges en 1993 avec un entraîneur étranger (Božidar Maljković), la même année où l’OM gagne la coupe d’Europe avec un entraîneur étranger (Raymond Goethals). Là oui, sur nos coaches, il y a un problème.

D’ailleurs, vous avez été convié l’été dernier aux assises du coaching du basket français, organisées par le Syndicat des coaches ?

Alain Weisz (vice-président du Syndicat) est auditeur de l’After Foot (RMC), il aimait bien ce que je disais donc il m’a contacté. Il voulait des mecs qui n’étaient pas du milieu basket. Il y avait Pape Diouf et moi en extérieurs. J’ai trouvé ça sympa d’y aller, de voir.

Qu’avez-vous vu ?

Qu’il y a des jeunes et des vieux. D’un côté, Bergeaud – même s’il était plutôt ouvert –, celui dont on dirait qu’il sort des Tontons Flingueurs, qui parle façon Audiard, Choulet, et de l’autre, Espinosa, Fauthoux. Certains étaient plus ouverts à un regard sur d’autres méthodes, d’autres sports, et les vieux de la vieille, c’était : «On fait notre taf du mieux possible, si ça ne marche pas on a toujours une bonne excuse, l’oseille, ceci, cela». Pas super emballés par le fait d’écouter des mecs de l’extérieur. En gros : «Il n’y connaît rien, il n’est pas du basket, qu’est-ce qu’il vient nous casser les couilles ?» Après, ce qu’il est ressorti de ces assises, je n’en sais rien. Ça a été une grande discussion, agréable. Au chapitre des excuses, j’ai dit : «Si le handball, qui était il y a vingt ans un sport de hangars, a pu devenir aussi important, avec un championnat de France structuré, des clubs qui font la Ligue des Champions, pourquoi pas le basket, qui avait de l’avance ?» Ils ne l’ont pas supporté. Pour eux, le handball était du pipi de chat par rapport à eux, ce n’était pas comparable. «Nos salles sont plus grandes, il y a plus de gens qui s’intéressent au basket, etc.» Vu de l’extérieur, ça ne me semblait pas si évident, mais beaucoup en semblaient convaincus. Ils disaient : «Si la bande à Parker fait une demi-finale de je ne sais quoi, ça fera aussi 8-9 millions si ça passe sur TF1, comme le hand». Et ils disaient : «Les clubs français du hand sont en Ligue des Champions, sur beIN.»  On en revient au fait qu’à partir du moment où le basket français a opté pour être dans les divisions inférieures… C’est peut-être ça la question : est-ce que ce choix est justifié ? Il y avait des mecs de l’Euroleague hier à Nanterre (entretien réalisé au lendemain du match à la U Arena), une ville à côté de Paris, une salle de 15 000 places, il y a peut-être quelque chose à espérer de ce côté.  Et il y a le projet de Parker avec l’ASVEL. Tu dois pouvoir combattre l’idée qu’il n’y ait que des petits clubs qui ne peuvent pas rivaliser parce qu’ils n’ont pas d’argent. Si un ou deux clubs arrivent à embrayer, ça peut peut-être réveiller. Je n’ai jamais compris pourquoi le basket n’était pas plus important. On a une société, en tout cas pour sa jeunesse, imprégnée de culture US. Les footeux sont des rock stars, et le seul sport qui les fait rêver, c’est le basket. Le basket doit être un sport sur lequel tu peux bosser en termes de notoriété, grâce à la vitrine NBA. Mais au lieu de s’en servir, on est écrasé. Je ne comprends pas que tu ne bosses pas là-dessus. Ce n’est pas très compliqué, n’importe qui est allé à un match NBA voit comment fonctionne la machine. J’y étais récemment, dès le début tu comprends, tu te dis c’est trop gros, mais à la fin du match, c’est dur de ne pas être emballé, tu es à 100% dedans. Hier à Nanterre, ils ont copié le show US. Il devrait y avoir une matière. Si tu as réussi à développer des clubs de hand… Au basket, il a dû y avoir un problème quelque part.

Étienne Capon, directeur général de la ligue nationale de handball, dit dans votre livre qu’il «compte bien rattraper» le basket. Dans ce duel, pour vous, qui a l’avantage ?

Au hand, tu as une équipe de France brillantissime, hommes et femmes. Maintenant en France, on suit leurs compétitions, on regarde, ça fait des chiffres énormes. Le basket, même s’il s’est super bien comporté, n’a pas fait ce qu’a réussi le hand : gagner. Champion du Monde, champion olympique. Au basket, c’est normal, tu as les États-Unis, d’autres nations énormes. Après, je ne sais pas si le championnat de hand est vraiment suivi. Les salles sont petites, plus que celles du basket. Les faits disent qu’il y a plus de monde qui va au basket qu’au hand. Pourtant, en termes de notoriété, j’ai l’impression que le hand a plus travaillé et est clairement devant. Il y a une explication importante : il n’est pas écrasé par un énorme championnat comme la NBA, les bons joueurs français sont chez nous. Et la vitrine équipe de France fait pour beaucoup.

Édition Hugo Sport, 352 pages, 15×22 cm, 18,50 €

Article extrait du numéro 18 de Basket Le Mag  (avril 2018)