Avant de devenir consultant beIN SPORTS, Éric Micoud (44 ans) a été l’un des premiers à tenter l’aventure américaine, au lycée puis à l’université. Sa carrière lui a fait parcourir la France, porter à vingt reprises le maillot bleu. Le Bénin, les États-Unis, sa réputation de fêtard, son laisser-aller avant de réussir sa reconversion : il raconte son parcours avant une grande sincérité, sans s’épargner.

 

Propos recueillis par Yann CASSEVILLE, à Boulogne-Billancourt

 

«Je suis né au Bénin, j’y suis resté jusqu’à 4 ans. Ensuite, avec mes parents, on est arrivé à Saint-Étienne. Mon père venait de quitter son boulot de prof dans un lycée technique au Bénin. Il a retrouvé du travail à Annecy, Aix-les-Bains, ensuite Saint-Vallier. Pendant longtemps, j’ai fait comme un blocage avec le Bénin. Quand ma mère y retournait, mes parents me proposaient de venir, je ne voulais pas. Et à 11 ans, je leur ai dit : «J’ai envie de retourner au Bénin». Sur place, des images sont revenues. Les années ont passé et il y a encore des souvenirs qui reviennent petit à petit. J’essaie d’y retourner tous les trois ans. À chaque fois, je suis accueilli comme le messie. Pour eux, j’ai réussi, ma mère aussi, parce qu’elle a quitté le Bénin, s’est mariée avec un Français. Là-bas, je me sens bien. Ce qui est gênant, c’est que les gens n’ont rien et te donnent tout. Tu reçois trop, tu prends une claque. Une fois, une petite cousine, sa mère me la met dans les bras : «Il faut l’amener en France, qu’elle grandisse là-bas». La petite est tellement mignonne que tu réfléchis…

Fou de bricolage

À l’école, je fais le minimum pour que ça passe. Je pense plus à bricoler dans mon garage, où il y a dix Solex, un karting. Mon père était bricoleur. On ne parlait pas beaucoup, même jamais, c’était peut-être son moyen de communiquer avec moi, en passant du temps avec moi pour bricoler. On a trouvé dans une poubelle un vieux Solex, ça a commencé comme ça, je l’ai peint en jaune avec des flammes orange. Après l’école, je me dépêchais de rentrer et faire mes devoirs pour filer au garage.

À l’époque, les filles, rien à foutre. Moi, c’est bricolage et basket. Mon meilleur ami a Canal, on regarde les matches NBA qu’il enregistre. Le sport, je commence avec de la gym, ensuite le tennis. Vers 12-13 ans, je suis meilleur au tennis qu’au basket. Mais au basket, il y a tous mes copains, ça coûte moins cher, donc je décide d’arrêter le tennis.  Au basket, je suis plus fort que tout le monde. Équipe de France minime, cadet. À Saint-Vallier, j’ai quatre surclassements, la limite autorisée, pour jouer en équipe première, la N4 de l’époque, contre des adultes, des Américains. Je rentre au CERN de Voiron, avec le coach Jacques Vernerey. Tous les centres de formation veulent que je vienne, l’INSEP aussi. En même temps, mon pote chez qui j’allais voir la NBA part au lycée en Floride. Il m’écrit : «Il y a des pom pom girls, ça va à une vitesse incroyable…» Il me fait rêver. Je ne pense qu’à ça. Mes parents se sont saignés pour me payer un voyage aux États-Unis avec mon père et Jacques Vernerey, pour faire des essais dans les écoles où Jacques avait des contacts.

Direction les États-Unis

Je fais les tests, toutes les écoles disent oui. Toutes, des écoles mixtes, publiques, sauf une, Saint John’s, une école que de mecs, militaire, catholique, et c’est la meilleure équipe de toutes. Sauf que c’est privé, 5 000 $ l’inscription, plus les frais sur place, pour mes parents c’est trop. L’école me veut absolument, propose de baisser les frais, avec aussi l’hébergement chez le coach. On accepte. Chez mon coach, c’est simple : il passe son temps dans sa chambre, je suis livré à moi-même. J’ai 15 ans, il faut que je me fasse à bouffer, que je lave mon linge, je suis dans un autre pays et je ne parle pas un mot d’anglais !

On débute la saison, je commence à faire des cartons. Dans ma deuxième année, je suis All-American, autour des 18 points, 8 rebonds, 8 passes, deux fois champion de l’État de Washington DC, je gagne deux fois le concours de dunks, une dizaine de concours à trois-points. Je reçois des cartons de lettres d’offres de bourse : UCLA, Connecticut, St. John’s, UNLV, North Carolina… Moi, je veux aller à Georgetown. Un mec vient me chercher, on visite le campus. Quand tu es un joueur à qui on propose une bourse, tous les étudiants te saluent, te disent qu’il faut que tu signes. Le soir, ils me mettent des gonzesses dans les pattes. Des gonzesses partout, pour que je signe ! Ils me font boire de la bière, ça doit être la première fois que je bois, je me réveille dans un appart, ça frappe, je suis allongé, je ne sais plus où je suis, j’ouvre, c’est l’assistant-coach. Ça la fout mal, ils m’offrent une bourse et je suis complètement bourré sur un canapé ! «Tu as passé une bonne soirée ? Maintenant c’est fini. Est-ce que tu vas signer ?» Je dis oui.

MVP devant Allen Iverson

La première année, je suis dans le 5 majeur. Le coach, c’est le légendaire John Thompson. On avait cours la journée, on arrivait à 15h à la salle, on avait 1h30 de muscu, ensuite à 16h30 on commençait l’entraînement et on ne savait pas à quelle heure on allait sortir de la salle. Parfois, c’était 21h. On s’entraînait tellement qu’en match, alors qu’on défendait tout terrain, je ne transpirais pas. Pendant l’été, je suis sélectionné en équipe de France junior pour l’Euro. Par rapport à ma relation avec l’équipe de France, il y a eu une cassure là. Je refuse la sélection, pas parce que je n’ai pas envie, mais parce qu’à l’université, il faut une certaine moyenne scolaire et je suis limite, donc je dois rattraper pendant l’été. J’ai entendu : «Éric Micoud n’est pas revenu, il chie sur l’équipe de France». Non, j’ai sauvé ma bourse, mon aventure américaine, et je ne regrette pas. Pendant l’été, je joue la Kenner League, la ligue de Georgetown, avec tous les mecs de l’université qui reviennent, Alonzo Mourning, je joue avec Dikembe Mutombo, je fais des passes à Patrick Ewing. Il y a Allen Iverson qui fait des cartons mais c’est moi qui suis MVP de la ligue. C’est la première fois de ma vie où je me dis que peut-être, il y a une chance pour que j’aille en NBA. À l’époque, il n’y a pas un Français en NBA. John Thompson disait : «Mais ça existe le basket en France ?» Je me faisais insulter, «Français, PD» ! C’était violent, on voulait te rentrer dans le cerveau pour t’endurcir.

La deuxième saison, ils recrutent un mec, le mettent arrière titulaire à ma place, je deviens meneur remplaçant, je tombe à 7-8 minutes par match. Je finis la saison, j’ai le service militaire à faire, John Thompson dit : «Tu peux aller le faire, on te redonnera ta bourse quand tu reviendras». Je reviens en France, ça libère une une bourse, c’est Allen Iverson qui la récupère. Moi, si je veux la retrouver l’année suivante, il ne faut pas que je devienne pro, donc ça veut dire une année sans gagner d’argent, à m’entraîner, avec mes parents qui n’ont pas un rond, et en voyant ce que fait Iverson, je me dis que si je reviens, je vais jouer 30 secondes, donc je décide d’accepter un contrat.

Le raté avec Limoges

Maljković m’appelle : «Il faut venir à Limoges». J’ai fait une erreur. Lui demander : «Si je viens, je dois signer avec Didier Rose ?» Il avait tous les joueurs. Petite respiration, et Maljković répond : «Non, pas du tout». Ils ne m’ont jamais rappelé. Derrière, je signe à la CRO Lyon, qui me prête à Besançon, en Pro B. Une équipe de dingue, Ronnie Smith, Skeeter Jackson, Tony Farmer… On monte en Pro A, j’ai envie de rester mais je suis prêté donc je retourne à Lyon. Et là, on descend. Après, je pars à Strasbourg, où je reste trois ans. On est dernier, je fais une pelade de stress, je perds mes cheveux, Christian Monschau aussi, je ne veux pas redescendre en Pro B, et là un coach me fait confiance. Tous me voient comme un deuxième arrière incapable de tenir une équipe à la mène, parce que je shoote beaucoup et qu’à l’époque les meneurs français ne shootaient pas. Mais à Cholet, Éric Girard me prend comme meneur.

On termine troisième, on gagne la Coupe de France à Bercy, on se qualifie pour l’Euroleague, je suis deuxième marqueur français, sélectionné pour l’Euro en France. Mais après dix minutes en finale de la Coupe, rupture du tendon d’Achille. Je suis en pleurs dans le vestiaire. Pendant la rééducation, Cholet installe tous les appareils de muscu dans la Meilleraie, je fais ma muscu en regardant l’entraînement. Sauf que je pousse comme un buffle, je prends dix kilos. C’est de là que vient mon surnom, Bouboule.

Les soirées et les filles

Quand tu te pètes le talon d’Achille et que tu prends dix kilos, derrière c’est dur de courir. Les dix années qui ont suivi, j’ai pris des anti-inflammatoires tous les jours.  En plus, j’avais mal, j’ai compensé avec l’autre tendon, dont j’ai dû me faire opérer aussi. Après chaque opération, c’est 6-7 mois de rééducation, plus le temps de retrouver ton niveau. Je l’ai retrouvé, avec une certaine hygiène de vie, tout le monde le sait… J’ai retourné Paris ! Mon corps, je lui ai infligé des tortures, c’est une machine. Maintenant, par contre, j’ai des tremblements dans la main, un dérivé de Parkinson, à la télé je me tiens les mains sinon il y en a une qui tremble. C’est peut-être dû à d’autres choses, à des périodes de stress, je suis en train de chercher avec un neurologue. Mais mon corps a encaissé beaucoup de choses, beaucoup de nuits à ne pas dormir. Je me dis : et si j’avais été sérieux, vraiment ? La NBA, je ne pense pas, parce qu’à l’université, j’étais le mec le plus sérieux, mais je suis arrivé trop tôt. Maintenant, si tu es grand, athlétique, que tu as de l’envergure, que tu n’es pas con, tu vas en NBA, en tout cas tu te fais drafter. C’était inimaginable à mon époque. Il n’y avait que les Petrović, Marčiulionis, Schrempf, le top niveau européen.

J’ai toujours fait des choix qui n’étaient pas forcément les bons. À l’université, si j’étais allé à Connecticut, on m’aurait utilisé pour mon shoot, dans un jeu plus ouvert. J’ai choisi Georgetown, qui ne forme que des intérieurs. En équipe de France, je suis sélectionné pour un Euro junior, je refuse, ils sont champions. Je suis sélectionné pour l’Euro en France, je me pète le tendon d’Achille. Malgré tout ça, je reviens, je fais l’Euro 2001. Après chaque match, Alain Weisz me dit : «Tiens-toi prêt, on va avoir besoin de ton shoot». Le match suivant, je ne joue pas une minute. Il m’a fait ça trois matches. Après, j’ai retourné Istanbul. J’étais en chambre avec Laurent Sciarra, il dormait dans le couloir, par terre, il me laissait la chambre, je ramenais une gonzesse tous les soirs. Un Turc, que je ne connaissais pas, venait avec son taxi, on ne se comprenait pas, il me disait : «Allez, boum boum !» Et il m’emmenait dans les plus belles boîtes, au bord du Bosphore. Quand je rentrais le matin, Laurent était content parce qu’il avait pu dormir dans la chambre. Voilà mon Euro. Ça a toujours été ça, il y a toujours eu un décalage ou un choix bizarre. Après Cholet, je me sépare de ma gonzesse et je signe à Paris en pensant : «Ça va être sympa, ils payent bien, je vais pouvoir faire la fête». Ce que j’ai fait. Je suis le joueur à qui Jacques Monclar a laissé passer le plus de choses. J’avais les yeux injectés de sang, il savait que je rentrais de soirée, que j’étais bourré, fatigué, mais c’étaient les autres qui prenaient. William Gradit, Ludovic Chelle, ils en ont fait des tours dans Coubertin !

L’arrêt, du jour au lendemain

Ça s’est retourné contre moi. Deux talons d’Achille, une expérience de fêtard : après Dijon, je n’intéressais plus les clubs de Pro A.  Je vais un mois à Livourne, remplacer Jason Rowe. Ça se passe bien, le club me propose de prolonger un mois. Je demande jusqu’à la fin de saison, pour que ma fille et sa mère puissent venir. Financièrement, ils ne peuvent pas, donc je finis la saison à Évreux, où je reste deux années de plus. En 2009, j’ai 36 ans, je me sens bien, je suis capitaine, dans le 5. J’ai envie de commencer une formation, le DU à la Sorbonne, qui me ferait rater quelques lundis et mardis. Mon entraîneur, Rémy Valin, est d’accord. Le président dit : «D’accord, par contre c’est moi qui te donne l’autorisation d’y aller chaque semaine». Je réfléchis : si on gagne, il me donnera l’autorisation, mais si on perd… Donc j’arrête. Sur un coup de tête. J’ai refusé des offres et arrêté le basket du jour au lendemain.

Je me mets aux Assedic, je prends 15 kilos, je passe mes journées à tondre la pelouse et faire la sieste, avec le DU de la Sorbonne en même temps. Ma copine se casse. Elle me dit : «Tu es devenu une merde, tu ne fous rien». C’était vrai. Je ne foutais rien, je grossissais, j’étais en survêt, je ne prenais plus ma douche, sauf avant d’aller au DU. J’étais invité à tous les événements basket, All-Star Game, playoffs, je n’y allais pas. Je sors avec une autre gonzesse, qui me dit : «Oh, bouge-toi ! Mets des vêtements de couleur, va serrer des mains, ce n’est pas les gens qui vont venir te chercher.» J’ai ce déclic. Je vais aux événements où je suis invité, je comprends qu’il faut dire aux gens que tout va bien, sinon ils t’évitent. Alors que je fous rien, je raconte des salades – «Je fais le DU de la Sorbonne, il va falloir que je fasse mon mémoire, beaucoup de boulot, etc.» –  et un jour, j’entends que Ma Chaîne Sport cherche un consultant. Je les appelle, ils ont déjà Crawford Palmer donc ils n’ont pas besoin pour l’instant. Deux jours après, ils rappellent : «Crawford est malade, tu peux venir ?» Je commence et au bout d’un moment, Jean-Yves Dhermain, que je ne remercierais jamais assez, me dit qu’il nous garde tous les deux.

La reconversion télé

À un moment, Ma Chaîne Sport ne suffit pas pour gagner ma vie, j’ai envie d’arrêter et de passer à autre chose. Jean-Yves me dit : «Accroche-toi. On n’a pas le budget pour te donner plus, mais tu es en train d’apprendre le métier et si notre chaîne perd les droits, tu auras eu cette expérience et tu pourras basculer». C’est ce qu’il s’est passé. Un jour, Xavier Vaution me demande de commenter un match des JO de Londres pour beIN. Finalement, je commente tous les JO. Dans la foulée, beIN obtient les droits de la NBA et je deviens le premier consultant basket de la chaîne.

Au niveau du rythme de vie, on morfle, ce n’est pas naturel de bosser la nuit. Je suis en décalage permanent. Ma copine se lève à 7h, je rentre, on boit un café, je me couche, je me réveille vers 12h30, je regarde NBA Extra, je refais une sieste, je vais me balader, avec cette sensation d’être un voleur, à me dire que je ne bosse pas. Ma copine finit le boulot à 19h, on regarde les séries, Canteloup, le journal télévisé, je m’endors. Quand je me réveille, elle dort. Voilà, je ne la vois pas. Mais ça ne dure que sept mois. L’intersaison est longue. Parfois, c’est dur quand tu enchaînes le match le soir, l’émission le lendemain midi, mais j’ai énormément de chance. Il y a tellement de gens qui voudraient faire ça. La reconversion, ce n’est pas simple. Moi, avoir réussi à ne rien foutre, tondre ma pelouse, et finalement basculer à beIN… J’ai une bonne étoile. Depuis toujours.»

 

Article extrait du numéro 16 de Basket Le Mag