Victorieuse des États-Unis et leurs joueurs NBA pour la première fois de son histoire, l’équipe de France doit déjà «oublier» ce match pour penser au prochain, qui est toujours le plus important. En l’occurrence, la demi-finale contre l’Argentine.  C’est le sens du message du sélectionneur.

 

Propos recueillis par Yann Casseville, à Pékin

 

Gregg Popovich a déclaré que résumer la défaite américaine aux multiples absences était un manque de respect envers l’équipe de France. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Gregg Popovich est un coach fantastique mais aussi un grand homme. Il fait toujours preuve de respect envers ses joueurs mais aussi envers ses adversaires. Son attitude hier était incroyable. Il n’a pas cherché d’excuse, il nous a juste félicités. Il a dit qu’on ne pouvait pas parler des absents, que cette équipe était bel et bien Team USA, et il a raison. Malgré toutes leurs absences, avant hier,  quand je regardais leurs matches, je pensais toujours qu’ils étaient les favoris de la compétition. Hier matin, j’espérais qu’on puisse les battre, mais je n’en étais pas sûr du tout. On a vraiment joué un grand match.

Cette journée de jeudi fut consacrée au transfert de Dongguan à Pékin. Les joueurs sont fatigués ?

Ils ont un peu dormi dans l’avion. L’Argentine voyageait avec nous, et c’était pareil pour eux. On est parti ce matin à 8h30 de l’hôtel (à Dongguan) et on est arrive à 16h45 à cet hôtel (à Pékin). Là, on a attendu encore une bonne demi-heure pour avoir nos valises. Donc vous faites le compte, il fallait à peu près neuf heures pour passer  d’une chambre à une autre.

De fait, il n’y a pas eu d’entraînement aujourd’hui. C’est problématique ?

Ce n’est pas la séance en elle-même qui est un problème, parce que vu l’intensité du match d’hier soir (contre les États-Unis), de toute façon, on n’aurait pas fait beaucoup. Mais c’est surtout en termes de mise en place. On est plus limité. On a fait une réunion avec de la vidéo, mais ce n’est pas équivalent. Heureusement, demain matin, on aura encore une séance vidéo, et puis une petite heure à la salle qui nous permettra d’être un peu plus précis. Malgré tout, ça reste réduit. Mais on a su le faire contre les États-Unis donc il faudra qu’on en soit aussi capable demain. Qu’on le veuille ou non, le plus gros match de la compétition, ce n’est pas le quart de finale contre les États-Unis. Le plus gros match, ce sera la demi-finale. Et ensuite celui d’après. On a encore deux très gros matches à disputer.

Juste après la victoire face à Team USA, il fut question du Mondial 2014, quand la France, après avoir battu l’Espagne à Madrid en quart, avait chuté face à la Serbie en demi, la faute à une entame de match ratée. Vous pouvez vous servir de 2014 aujourd’hui ?

Chaque match a sa vérité. Le contexte n’est jamais le même. Les États-Unis, on les a joués après une défaite contre l’Australie. Là, on va jouer l’Argentine après une victoire de prestige. Le risque, on le connaît, c’est d’être content, un peu rassuré sur ce qu’on a pu produire, et de perdre l’agressivité. Or on sait que dans ce type de match, demi-finale mondiale, c’est la première des qualités qu’il faut amener sur le terrain. Avant même de parler de basket, de précision, d’organisation, l’agressivité est la clé, l’une des clés. Mais après, c’est aussi la concentration, la discipline. En 2014, l’une des consignes les plus importantes était d’être à hauteur sur les premiers écrans, pour ne pas que Miloš Teodosić ait des tirs derrière, et les deux premiers, notre intérieur était deux mètres en dessous. Ça veut dire qu’il n’était pas là, que ce qu’on avait pu dire était totalement passé à la trappe. Là, on va jouer contre une équipe dont on sait qu’elle va rentrer fort, comme elle l’a fait contre la Serbie. Donc il faut qu’on soit prêt à faire la même chose. On ne peut pas être surpris, on sait à peu près ce qu’il va se passer, donc on doit avoir la réponse adaptée. C’est ça qui est important, et surtout, mettre derrière le match d’hier. C’était super, on pourra y penser un peu plus tard, on aura tout le temps pour ça. Mais il est joué, gagné, maintenant il faut se concentrer sur celui de demain et trouver la clé, comme je l’ai dit aux joueurs tout à l’heure. Hier, on  trouvé la clé pour battre Team USA. Demain, il faudra trouver celle pour battre l’Argentine, et accepter l’idée que ce n’est pas la même.

C’est-à-dire ?

Ce n’est pas juste mettre de l’intensité, de l’agressivité, c’est aussi avoir de l’intelligence pour contourner leur système défensif. C’est l’équipe qui fait le plus d’interceptions. Là où Team USA n’aidait pratiquement pas sur les actions de un-contre-un, eux font des aides très fortes, parfois même incontrôlées, ça peut être perturbant. Il faut qu’on s’adapte. Il y a ce qu’on sait avant de jouer un match – c’est pour ça qu’on fait de la vidéo – et souvent, ce qui est important, c’est ce qu’on ne sait pas, et comment on va s’y adapter, s’ajuster, au sein même du match. (…) On va jouer contre une équipe pleine de vice, de malice, qui a l’expérience de ces rendez-vous. Les problèmes qui vont nous être posés vont être totalement différents de ceux d’hier, mais à mon sens bien plus difficiles à résoudre. Vous avez raison de vous demander si on va avoir rebondi. Je crois que oui. Je crois que ce groupe a bien compris qu’il ne fallait pas s’endormir. Mais ce n’est pas suffisant, il va falloir qu’on soit très bon. C’est une demi-finale mondiale qui appartient aux deux équipes, qui ont les mêmes chances de pouvoir l’emporter. C’est un rapport de force. Il faut qu’on soit capable d’affaiblir leurs points forts, ils en ont de saisissants, et imposer nos caractéristiques.

Faut-il craindre leur euphorie ?

Oui, très clairement. C’est leur marque de fabrique. Ils ont gagné tous les matches, avec peut-être un parcours un peu plus aisé, mais ce n’est pas prouvé ; ils ont quand même battu la Serbie en quart. Et leur jeu, de toute façon, c’est d’essayer de mettre la folie. C’est ce qu’il faut qu’on évite. Contrôler le tempo. Regardez le nombre de possessions dans leurs matches et dans les nôtres, c’est une différence saisissante, c’est 100 à 85. Ça veut dire quinze possessions. C’est beaucoup. 100, c’est un jeu up-tempo. Et up-tempo, ça veut dire plus de difficultés à défendre, à ralentir l’adversaire, à tout contrôler, et ça, c’est leur avantage. Donc eux vont essayer de nous pousser dans ce type de match. Nous, il faut qu’on essaie de les pousser dans des matches qu’on maîtrise davantage. L’équipe d’Argentine court très bien. Elle est peut-être moins athlétique que la nôtre, par contre, dans le jeu de course, elle est magnifique. Ses deux petits, Facundo Campazzo et Nicolás Laprovíttola, sont de vraies mobylettes, et les ailiers, Nicolás Brussino, Patricio Garino, courent aussi, poste 4 avec Gabriel Deck, ça court aussi. C’est une équipe qui court très bien, et qui dans ce registre, n’a rien à envier à l’équipe de France. Mais on le sait. Il faut qu’on soit capable d’imposer.

Et que dire de Luis Scola : être aussi productif à 39 ans, c’est extraordinaire ?

Oui, ça l’est. Même si c’est un intérieur, et c’est souvent plus facile – Kareem Abdul-Jabbar a joué aussi jusqu’à 40 ans – parce qu’il  y a un peu moins besoin de la vitesse. Scola a des mains extraordinaires, tellement de talent technique et d’adresse. Malgré tout, il est encore dans une forme physique étincelante pour cet âge. Et il incarne aussi la passion, on a l’impression qu’il ne va jamais s’arrêter. C’est exceptionnel. Exceptionnel.

Plus globalement, quel regard portez-vous sur l’équipe d’Argentine ?

Pour moi, c’est l’une des meilleures nations depuis le Mondial à Indianapolis en 2002. Cette équipe est une nouvelle génération, mais c’est amusant de voir Scola avec cette nouvelle génération. Heureusement, Manu Ginóbili n’est plus là ! On a vécu la même chose, il y a deux trois-ans, avec les retraites de Tony Parker et Boris Diaw. Ceux qui sont là aujourd’hui, ce que je leur ai dit il y a cinq-six semaines, quand on a commencé la préparation, c’est qu’on doit écrire notre propre histoire. Ce qui s’est passé avant, ce n’est pas nous. Nous, on doit faire quelque chose pour nous. Et je pense que c’est la même chose pour l’Argentine, même s’ils ont Scola avec eux, mais il est comme le grand frère. J’en ai plaisanté aujourd’hui avec mon assistant, quand on est arrivé dans le hall de l’hôtel, les Argentins arrivaient en même temps, et j’ai dit : «Je pourrais aller demander à Luis s’il est un frère du Luis Scola qui a été champion olympique en 2004».