Ce mardi 3 septembre, à 14h30 heure française (20h30 à Shenzhen), l’équipe de France sera opposée à la Jordanie pour la première fois de son histoire. Décryptage de cet adversaire méconnu.

 

Une sélection qui revient de loin

49e au ranking FIBA, la Jordanie a disputé sa première compétition internationale en 1983 à l’occasion du championnat d’Asie. Depuis, dans ce tournoi continental, elle a décroché deux médailles (le bronze en 2009 et l’argent en 2011), à chaque fois en s’appuyant grandement sur un Américain naturalisé, Rasheim Wright. La troisième place en 2009 lui a permis de participer à la première Coupe du monde de son histoire. Lors du Mondial 2010 en Turquie, les Jordaniens ont perdu chacun de leurs cinq matches de poule, mais sont partis la tête haute à l’issue de défaites honorables (-1 contre l’Australie ou encore -9 face à l’Argentine).

La suite ne fut pas du même acabit. Ne pas réussir à rallier le Mondial 2014 fut un énorme coup d’arrêt pour le pays, dont la fédération fut dissoute. Un acte fort autant qu’une remise en question bénéfique. Le comité olympique désigna de nouveaux dirigeants et la Jordanie réenclencha la marche avant. Pour se qualifier à cette Coupe du monde 2019, l’équipe a livré une excellente campagne, leader de son groupe au premier tour (5-1, devant le Liban, la Syrie et l’Inde) puis troisième au deuxième tour (7-5, derrière la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud mais devant la Chine), en s’offrant des victoires références face à la Chine (+24) et la Nouvelle-Zélande (+6).

Le but de la sélection dans ce Mondial ? Être compétitive. La mission a déjà été en partie relevée à l’occasion du premier match, où la Jordanie est passée tout près de décrocher un succès historique dans cette compétition (76-80 contre la République dominicaine après une remontée folle et avoir pris les devants dans le dernier quart).

Rasheim Wright, Américain naturalisé, face à l’Argentine lors de la Coupe du monde 2010.

Un leader qui a gagné l’Euroleague

Quand il porte le maillot jordanien, il s’appelle Ahmad Hekmat Al-Dwairi. Autrement, durant toute la saison, avec son club du Fenerbahçe Istanbul, il est Ahmet Düverioğlu. Ce pivot (2,10 m, 26 ans), né à Istanbul d’un père jordanien et d’une mère turque, possède la double-nationalité. Au Fenerbahçe, il joue comme local, utilisant son passeport turc. En sélection, il a choisi de représenter la Jordanie.

Contre la République dominicaine, les intérieurs adverses eurent beau se relayer, aucun n’a réussi à l’arrêter dans ses avancées dos au panier. Au final, il a livré une partie colossale : 34 points à 14/18, 9 rebonds, 37 d’évaluation en 38 minutes ! C’est que Düverioğlu, 77 matches d’Euroleague au compteur, n’est pas le premier venu  et vaut bien plus que ses faibles stats en Euroleague (2,9 points à 62% et 2,6 rebonds en 11 minutes la saison écoulée) pourraient le laisser penser.

Chez le surpuissant club turc, où il évolue depuis 2016, après avoir débuté sa carrière en Jordanie et s’être révélé chez le rival de l’Anadolu Efes Istanbul,  il doit s’accommoder d’une position de troisième pivot (derrière Jan Vesely et Joffrey Lauvergne), rentrant en jeu sur de courtes séquences pour apporter son gabarit, prendre des rebonds et faire le sale boulot. Aussi mineur soit son rôle, il s’y tient sans broncher, et a gagné la confiance du coach Željko Obradović ; cet été,  Düverioğlu/Al-Dwairi a rempilé pour trois saisons au Fenerbahçe. Massif et doté de bonnes mains, il enfile un tout autre costume en sélection : celui du colosse tenant l’équipe sur ses épaules.

Ahmad Al-Dwairi face à la République dominicaine : 34 points à 14/18, 9 rebonds, 37 d’évaluation en 38 minutes !

Un naturalisé bien connu en France

Face à la République dominicaine, lui aussi a joué 38 minutes. Si Al-Dwairi s’est occupé de la raquette, Dar Tucker (1,90 m, 31 ans) avait la main mise sur le jeu extérieur de la Jordanie. Cet arrière américain naturalisé, né à Saginaw dans le Michigan et formé à l’université de Depaul, à Chicago, Illinois, joue pour la sélection depuis 2016. Lors des qualifications à la Coupe du monde, il fut l’atout majeur de l’équipe (21,8 points, 5,9 rebonds, 3,1 passes), auteur de cartons à plus de 30 unités, et a même terminé troisième marqueur des fenêtres en Asie.

Dar Tucker est bien connu du basket français pour avoir porté durant deux saisons, en 2011-12 puis 2013-14, le maillot d’Aix-Maurienne en Pro B. Durant la deuxième campagne, fort de ses 17,2 points en 28 minutes, il se classa troisième scoreur de la division. Mais s’il a surtout marqué la LNB, c’est pour avoir gagné le concours de dunks du All-Star Game en 2011. L’homme est un spécialiste de l’exercice, qu’il a également remporté à deux reprises en G-League.

Dans une équipe jordanienne manquant cruellement de densité physique, cet arrière très explosif au jeu tout en agressivité apporte une touche de dynamisme. Face à la République dominicaine, il a prouvé toute son activité (24 points, 5 rebonds, 4 passes), mais ne fut guère en réussite (1/9 à trois-points). Gare : même s’il manque de fiabilité à longue distance, dans un bon jour, Tucker peut prendre feu. Un soir de 2015, il avait shooté à 11/22 à trois-points et égalé le record de la G-League en inscrivant… 58 points.

Dar Tucker, ancien joueur d’Aix-Maurienne en Pro B.

Un coach américain globetrotteur

À 58 ans, Joseph Anthony, dit Joey, Stiebing, a parcouru un joli tour du monde. L’Américain est l’un des douze coaches étrangers officiant sur le banc d’une des trente-deux sélections de cette Coupe du monde. Il a pris place sur le banc de la Jordanie en octobre 2018. Avant cela, il avait déjà goûté à tout, ou presque, dans le coaching : le lycée, l’université, le monde professionnel et même le niveau international.

Au cœur des années 1980, il a débuté comme assistant dans les lycées américains, avant d’obtenir son premier job d’entraîneur en chef en 1986 dans un établissement californien. Par la suite, il est resté onze ans à la fac de New Orleans, de 1990 à 2001, d’abord comme assistant puis comme head coach. De 2002 à 2007, il fut le sélectionneur du Qatar, avec succès ; la médaille de bronze au championnat d’Asie en 2005 envoya  l’année suivante le pays à la Coupe du monde pour la première fois de son histoire. Après un retour en NCAA (assistant à Loyola 2007-10), il reprit la direction de l’Asie en 2010, pour coacher dans la ligue chinoise. La première année, avec Wenjiang, l’adaptation fut difficile, Stiebing devant composer avec une traductrice face à des joueurs ne parlant pas un mot d’anglais, mais il parvint tout de même à mener l’équipe à la première place, une première pour un club de la province du Sichuan depuis 51 ans.

Après trois années en Chine, il a ensuite mis le cap sur les Émirats Arabes Unis, puis sur la NCAA de nouveau, avant de tenter l’expérience jordanienne. Sans doute pas son dernier défi.

Une découverte pour les Bleus

Pas une fois. En 1 287 matches officiels depuis 1926, jamais l’équipe de France n’a affronté la Jordanie. Et les Bleus de 2019 partent dans l’inconnue. «J’ai cru comprendre qu’ils avaient un intérieur qui a fait un carton hier. Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on sait. Ce sont des joueurs qu’on ne connaît pas», reconnaît Evan Fournier. «Moi, j’ai regardé le match qu’ils ont fait contre la République dominicaine, celui aussi contre la Grèce la semaine dernière», enchaîne Nicolas Batum. «C’est une équipe qui s’est qualifiée pour la Coupe du monde, donc c’est une équipe qui sait jouer au basket, qui a gagné des matches. Il faut faire attention», prévient l’ailier, qui ne veut pas que la France, satisfaite d’avoir vaincu l’Allemagne, se laisse aller face à un adversaire nettement moins prestigieux. «C’est le piège», poursuit Batum. «C’est des matches à la con», ose Fournier. «Parce que tu ne connais pas l’adversaire, qu’eux ils vont donner leur vie. Donc il faut rester vigilant.»

Dans le camp adverse, Joey Stiebing a déclaré après la défaite face à la République dominicaine qu’il ne s’était pas encore penché sur le cas français. «Pour être honnête, on n’a rien préparé, parce que jusqu’à présent, toute notre concentration était focalisée sur le premier match. Mais dès ce soir, on va s’y mettre, on a des vidéos, un de nos coaches a déjà commencé à scouter la France. On va faire un scouting report, le donner le matin aux joueurs, et on aura un jour pour préparer.» Mais les Jordaniens, eux, connaissent déjà la plupart des noms et des CV des Bleus. «On sait que la France est l’une des meilleures équipes au monde, très bien coachée. Ce sera un grand challenge pour nous», commente Stiebing. «Mais c’est pour ça qu’on est là : pour accepter ces challenges.»