L’ÉLAN CHALON VAINQUEUR PLAYOFFS PROB REMONTE EN BETCLIC ELITE
Deux ans après sa descente, Chalon-sur-Saône a accompli sa mission remontée, non sans mal ni frayeurs. Celles-ci ont paradoxalement contribué à créer l’effervescence dans une ville qui a retrouvé la fierté de remplir son Colisée.
PAR YANN CASSEVILLE, A CHALON-SUR-SAÔNE • PHOTOS : CHARLOTTE GEOFFRAY/ÉLAN CHALON
Les romantiques aiment à dire que le chemin importe plus que le résultat, une maxime tellement ressassée qu’elle en a perdu sa naïve sincérité pour la transformer trop souvent en hypocrite banalité. Et dans le sport de haut niveau, le dicton semble en plus se heurter au principe de réalité martelé par ceux qui répètent que seule la victoire compte. Ceux-là oublient une chose : l’émotion, elle, dépasse le résultat et se fiche du niveau, amateur ou professionnel, Pro B ou Betclic Élite.
Démonstration faite à Chalon-sur-Saône, ou l’engouement pour la belle de la finale des playoffs Pro B, le 13 juin dernier, fut supérieur à celui enregistré en juin 2017pour le match 5 de la finale de l’élite, qui allait voir la victoire de l’hôte bourguignon face à Strasbourg. A l’époque, l’Élan s’était habitué au succès. Mais cette saison, après des années de déceptions et une descente, la perspective d’une remontée et le suspens des playoffs ont soufflé fort sur les braises qui couvent tout autour du Colisée, l’une des plus belles enceintes du pays.
A peine la billetterie ouvrait-elle pour la belle face au Champagne Basket qu’elle s’est trouvée prise d’assaut : plus de 10 000 demandes de tickets, des milliers de personnes sur liste d’attente… « Il faut se rappeler qu’on commence la saison avec des affluences à 3200-3300.
Ces playoffs et leur scénario ont créé un engouement qui est allé au-delà de ce qu’on avait imaginé. Dans les bureaux, on s’est dit : c’est fou, on a l’impression que c’est encore plus fort 33 que 2017 !», réagit Rémy Delpon. Le directeur général du club a dit une phrase aux joueurs – « Même si on échoue, on a déjà rempli une mission : retrouver le cœur du public » – et repensé à celle que lui avait glissé un jour Aymeric Jeanneau : « Gagner le titre, c’est bien, mais une montée, c’est incroyable, tu verras… » Et c’est tout Chalon qui a vu, en ce mardi 13 juin, quand Antoine Eito et sa bande ont décroché la victoire dans une salle en fusion. « Monter de cette manière, c’est exceptionnel en termes d’émotions.
J’ai déjà gagné des titres, des montées, mais celle-ci, c’est la plus joyeuse », classe le coach Savo Vučević. « Ce public est le meilleur en France. Pas le meilleur en Pro B, le meilleur en France. Et cette ville vit pour le basket. Ici, le basket, c’est quelque chose. »
“ON SENTAIT UNE ÉNERGIE NÉGATIVE”
La descente de 2021 n’avait rien d’un accident. Apres vingt-cinq ans dans l’élite, l’Élan, miné par les querelles d’egos, s’était laissé griser par son sacre de 2017. Se prenant pour un autre, oubliant que dans le paysage en pleine évolution du basket français, alors que de véritables cadors émergeaient a l’ASVEL et Monaco, lui demeurait un club d’une petite ville de 45 000 habitants.
Le départ de l’historique président Dominique Juillot (remplacé par Vincent Bergeret) et les changements sur le banc (et notamment le retour raté de Philippe Hervé) ont ajouté au manque de sérénité. La saison derniere, Chalon-sur-Saône, malgré le plus haut budget de l’histoire de la Pro B, a payé pour voir ce qu’était ce championnat : une jungle. Une division ou ça bastonne, et l’Élan a fini la gueule bien amochée.
“CES PLAYOFFS ET LEUR SCÉNARIO ONT CRÉÉ UN ENGOUEMENT QUI EST ALLÉ AU-DELÀ DE CE QU’ON AVAIT IMAGINÉ.” Remy Delpon (directeur général)
« L’an dernier, on a accumulé les erreurs, on s’est trompé sur des joueurs, des hommes, une organisation », liste Delpon. Apres l’échec du duo Leo De Rycke (directeur sportif) -Sebastian Machowski (coach), la mission remontée fut confiée l’été dernier a Savo Vučević. « On sentait une énergie négative dans le club. Je l’ai sentie en arrivant », se remémore le technicien au sujet d’un Élan qu’il juge à l’époque trop instable. « Une voiture sans les freins, c’est difficile… J’ai amené un peu d’apaisement, de sérénité. »
Au soir de la victoire en finale contre Champagne Basket, le coach et le meneur Antoine Eito ont souligné l’alignement durant la saison entre les hommes de terrain et les personnes à côté, qui a fait défaut par le passé. « Cette année, chacun a fait son job, dans les bureaux ils ont laissé le sportif travailler », dit Vučević.
“ICI, QUAND TU BOIS UN VERRE DE VIN…”
Son groupe fut toutefois sujet à l’irrégularité, souvent au cœur d’une même rencontre, s’est fait devancer (au point average) par Saint-Quentin pour la première place, et en playoffs a frôlé la chute (-16 pour débuter la belle face à Angers en quart, défaite au match 1 de la finale a domicile). Mais ses joueurs, fragilisés par la fin de saison prématurée de leur capitaine, Mickaël Gelabale, victime d’un AVC mi-avril, ont su faire corps. L’expérience de Vučević a probablement compté double : l’homme a signé au Colisée sa… sixième montée ! « Mais il est vieux aussi… », charrie Eito. Le meneur et le coach ont noué « une relation spéciale, saine et directe », dixit le premier.
“MONTER DE CETTE MANIERE, C’EST EXCEPTIONNEL EN TERMES D’ÉMOTIONS. CE PUBLIC EST LE MEILLEUR EN FRANCE. PAS LE MEILLEUR EN PRO B, LE MEILLEUR EN FRANCE. ET CETTE VILLE VIT POUR LE BASKET.” Savo Vučević
Leur aventure commune a failli pourtant ne jamais démarrer. A l’été 2022, quand Vučević débarque sur les bords de Saône, Eito «ne veut pas trop rester », reconnaît l’intéressé, tandis que l’entraîneur se verrait bien bâtir une équipe sans l’encombrant meneur. « On avait tous les deux des a priori l’un sur l’autre », explique Eito. « Au final, j’ai découvert une personne que j’apprécie énormément. » Plus globalement, Vučević salue la solidité de son groupe, « extraordinaire humainement », exactement les mêmes mots employés par Delpon.
« Ils sortaient en ville pour manger ensemble, ils allaient voir les autres sports, ça n’était pas arrivé depuis des années. Je ne compte plus le nombre de gens qui m’ont dit : on a vu ton Américain à Carrefour, il est resté une heure à prendre des photos avec les gens ! Ils se sont imprégnés de la ville, ils ont voulu goûter les produits locaux. Ici, quand tu bois un verre de vin, les gens sont contents que tu trinques avec eux !»
“ASSURER UN MAINTIEN CONFORTABLE”
Vaincu en finale, Thomas Andrieux, le coach du Champagne Basket, a félicité son adversaire, « un club surdimensionné pour la division ». L’Élan affichait le premier budget de Pro B (4,88 M€, ce qui l’aurait classé 14e dans l’élite), et le constat va au-delà. « C’est une fierté de remettre Chalon en Betclic Élite, parce que c’est là où le club doit être », valide Eito. Par son palmarès, sa salle, son public, sa structuration, Chalon – qui a obtenu le label argent de la LNB cette saison, ratant l’or de peu – est taillé pour la première division.
Sans oublier sa formation. Même si le club s’est raté avec Mathis Dossou-Yovo (formé à la maison mais qui a dû partir pour s’épanouir, jusqu’à devenir MVP de Pro B avec… Saint-Quentin, qui a privé l’Élan de la première place cette saison), il a conservé dans l’antichambre « cette ADN », dixit Delpon : « L’ambition de formation n’a pas changé ». L’Élan retrouve un niveau qu’il aime tant, auquel il avait le sentiment d’appartenir, mais qui en deux ans a sérieusement été boosté.
« J’en parlais à l’instant avec Max Pacquaut (assistant), il me disait : qu’est-ce que ça a changé depuis qu’on est descendu ! », raconte Delpon. « Le niveau d’intensité a augmenté, les budgets ont augmenté – aujourd’hui, avec un budget à 5 M€, tu n’es plus dans le Top 8 comme on l’était à l’époque – et la saison prochaine, avec trois descentes, la pression sera forte. » En quête de stabilité, Chalon a prolongé Vučević pour deux ans. « Il faut qu’on essaie d’assurer un maintien confortable, en ne cachant pas une certaine ambition », commente le directeur général.
« Il ne faut pas viser de suite la coupe d’Europe, pas faire n’importe quoi, et surtout garder ce qu’on a réussi à construire cette année en termes de valeurs. L’avantage, c’est que même si la Pro A a changé, Savo la connaît, le club aussi. » Et toute une ville a retrouvé sa fierté de remplir la marmite du Colisée, qui ne demande qu’à exploser encore.
ANTOINE EITO : DES PAROLES ET DES ACTES
« Mister Big Shot » (1,86 m, 35 ans) a rarement aussi bien porté son surnom, guidant l’Élan Chalon sur la voie de la remontée. Le chemin fut escarpé, a l’image de sa carrière, cabossée, et de sa personnalité. Parfois « casse-couilles », dit-il lui-même, et toujours entière.
Il y a les mutiques, ceux qui parlent un peu, beaucoup, passionnément, et il y a Antoine Eito, celui qui parle tout le temps. Une grande gueule des terrains, prononciation mitraillette et pas de jaloux : les rafales de mots viseront tout le monde. Ses coéquipiers qu’il harangue, les adversaires et arbitres avec qui il s’amuse, et même sa propre personne, pour se motiver.
Placé au centre du dispositif chalonnais avec l’objectif de décrocher la montée, le meneur ne s’est pas caché. S’il a chanté fort dans le vestiaire pour célébrer la victoire en finale des playoffs, il avait rugi plus encore sur le parquet. Il fallait le voir communier avec le public du Colisée, se frapper sur le torse en extériorisant son énergie. La mission remontée l’habitait. « Mister Big Shot » a assumé son statut et son surnom. Bouillant en playoffs (18,5 d’évaluation), son poignet gauche est devenu incandescent en finale (21,3 points, 5 rebonds, 7,7 passes et 25 d’évaluation en 35 minutes).
« Antoine est un joueur qui brille dans les moments à haute pression. Sa finale, c’est une masterclass. Je lui ai dit : si tu avais joué comme ça toute ta carrière, tu serais au Real Madrid !», sourit Dounia Issa, son ami, ex-coéquipier puis coach du Mans. « Je sentais l’odeur du sang », explique l’intéressé. « Le côté mission, gagner pour remonter, ça a décuplé le truc. Toute ma carrière, j’ai voulu prouver, à moi-même, aux gens, à tout le monde. »
CLIVANT ET “ATTACHIANT”
En ce 13 juin, jour de fierté retrouvée au Colisée, il se présente en conférence de presse avec un cigare et une bouteille de Cognac. « C’est de la pub pour chez moi !», s’amuse le natif de Barbezieux, en Charente. « Dépêchez-vous, j’ai envie de boire !», lance-t-il aux journalistes en riant. Prêt à retourner tous les bars de la ville pendant des semaines ? La réalité est tout autre : quelques jours après, le meneur enfilait déjà sa tenue de 3×3 pour arpenter le circuit, les JO 2024 dans un coin de la tête. Ainsi est Antoine Eito : hyperactif.
Hyper dans tout ce qu’il est. Énergique, sensible, agaçant, intéressant. « C’est quelqu’un qui joue comme il s’entraîne, et inversement. Pour lui, ce n’est jamais à la cool », insiste Alexandre Ménard, qui l’a dirigé au MSB. « Je ne sais pas faire les choses à moitié », acquiesce le gaucher. « Quand je me lance dans un truc, je le fais à fond. Dans la vie, je suis à fond dans l’amitié, dans l’amour. » Eito, joueur « clivant » selon sa propre description – « Celui que tu détestes quand il est chez l’adversaire et que tu adores quand il est chez toi… même si tu parfois tu le détestes là 37 aussi parce qu’il est casse-couilles et qu’il dit les choses !» –, et « attachiant » selon Ménard : « Très attachant, mais parfois chiant ».
“COMME LE LAIT SUR LE FEU”
Ce caractère, certains n’ont jamais pu le supporter, et beaucoup l’ont observé avec méfiance au début de sa carrière, voyant ce jeune venu de Cognac en N2 parler plus haut que son CV. « D’habitude, les jeunes qui arrivent dans un groupe sont timorés, il faut les encourager à montrer qui ils sont. Lui, quand il est arrivé à Vichy (en 2009, à 21 ans), c’était l’inverse ! Un pétard ambulant », rigole Dounia Issa. « Il fallait qu’il apprenne à se canaliser. »
Sous peine de générer des tensions dans un groupe. « C’est le risque, et c’est ce qui s’est passé », reprend Issa. « Il y a eu des conflits, notamment avec les Américains. Antoine en avait conscience, mais c’était : prenez- moi comme je suis et tant pis. Il a dû apprendre avec le temps que ça ne marchait pas comme ça et qu’il devait aussi faire des efforts. » Question simple : est-il un joueur facile a coacher ? Réponse immédiate d’Issa : « Non ! Parce que c’est un joueur émotionnel – même s’il a progressé là-dessus. » « Il faut le surveiller comme le lait sur le feu », enchaîne Ménard.
« Il est capable de brancher un Américain à l’entraînement, le challenger pour le faire réagir. Un joueur comme lui est énergivore. Mais c’est un énorme bosseur. Le seul que j’ai vu s’acheter une machine à shooter !» Eito résume en trois mots : « Je suis différent ». Cette revendication s’accompagne d’une incompréhension : « Les gens pensent que j’essaie de me faire remarquer. Cette différence, je la cultive parce que c’est ma force, mais sans me forcer. Je n’essaie pas d’être quelqu’un d’autre, je suis moi-même. Et si je n’avais pas eu ce caractère, peut-être que je serais encore en N2. »
“LE 3X3 M’A ÉNORMÉMENT AIDÉ”
Entre Eito et Chalon, le contrat de trois ans paraphé à l’été 2021 a manqué de peu d’être brulé dès la première saison. « Il y a tellement de choses qui ont merdé cette première année… », dit-il.
“LES GENS PENSENT QUE J’ESSAIE DE ME FAIRE REMARQUER. JE N’ESSAIE PAS D’ETRE QUELQU’UN D’AUTRE, JE SUIS MOI-MEME. ET SI JE N’AVAIS PAS EU CE CARACTERE, PEUT-ETRE QUE JE SERAIS ENCORE EN N2.” Antoine Eito
Marqué par son départ du Mans, « un crève-cœur », le meneur n’est pas dans les meilleures dispositions et arrive dans un club qui boîte, sur et en dehors du terrain. « Après Le Mans, je me suis dit : c’est que du business, pas de sentiment, je vais faire pareil, je vais tout démonter et on va remonter. J’ai mis une telle pression à tout le monde, partout, au club… Moi, je la supportais, parce que je vis avec et j’adore ça, mais j’ai été très dur avec les gars et tout le monde n’a pas supporté. En février-mars, je me suis dit : c’est mort.
J’ai lâché mentalement et on a tous explosé. » « Il a besoin d’un cadre, savoir jusqu’où il peut aller, et ce n’était pas assez défini l’an dernier », analyse Rémy Delpon. Apres avoir été proche de la sortie, le gaucher revient pourtant au Colisée à l’intersaison 2022. Réconforté par une longue discussion avec son nouvel entraîneur, Savo Vučević, et régénéré par son été. « Le 3×3 m’a énormément aidé. Ça m’a ramené aux sources, cette relation terre-à-terre à notre sport, pas business. » Il en tire des leçons et affine son leadership.
Sa première action : « Acheter une basse de ouf, je mettais tout le temps la musique dans le vestiaire. Et on a fait du paintball, du karting, on est allé bouffer ensemble avec les gars. Je me suis adapté aux personnes, c’était de l’humain. » Le vestiaire l’accepte, le comprend. Mieux, embraye. Quand Mike Gelabale doit arrêter sa saison, Eito récupère le brassard de capitaine. Un symbole. Meneur, dans le jeu et dans le groupe. Patron. Chalon passe la saison à ne pas trouver de meneur américain idoine, aussi le numéro 8 joue pour deux.
« Chapeau à Antoine », salue Vučević en référence aux matches que son leader « a fait tout seul ». Le gaucher tire comme un forcené sur la corde pour remonter dans l’élite, et encourage les autres à l’accompagner. « C’est la différence entre les bons joueurs et ceux qui rendent les autres meilleurs : cette année, il a franchi ce cap. Au vu de son passé, ce n’était pas gagné d’avance, il avait un côté égocentré, mais c’est une vraie preuve de maturité », félicite Ménard.
“UN SENS DE LA LOYAUTÉ RARE”
« Il a trouvé la bonne distance vis-à-vis de l’expression de sa personnalité », observe Issa, heureux pour son ex-coéquipier. « Il a un sens de la loyauté devenu rare, il donne tout pour une organisation. Il a ses mauvais côtés, comme tout le monde, mais c’est un garçon entier, passionné, débordant, et ça fait du bien dans une société qui devient hyper lisse. »
“IL Y A LES BONS JOUEURS ET CEUX QUI RENDENT LES AUTRES MEILLEURS : CETTE ANNÉE, IL A FRANCHI CE CAP. AU VU DE SON PASSÉ, CE N’ÉTAIT PAS GAGNÉ.” Alexandre Menard
Ménard abonde : « Quand c’est l’encéphalogramme plat dans une équipe, c’est chiant et on n’avance pas beaucoup. Les championnats se gagnent avec des gens de caractère. » Eito a vécu les relégations (Vichy, Orléans) et les trophées (champion à l’ASVEL puis au Mans) dans un parcours qui lui ressemble. Des hauts, des bas, des aspérités. « Si je me loupe, c’est comme ça, il y a des choses plus graves dans la vie, mais au moins j’aurai tout donné, je me serai arraché, avec mes envies, mes valeurs, mon cœur », dit-il. « Et le miroir, je pourrai me regarder dedans. »
Extrait du numéro 76 de Basket Le Mag (juillet-août 2023)
Retrouvez l’intégralité des articles dans le numéro 76
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