C’était il y a quarante-sept ans. En 1972, à Munich, les Américains perdent pour la première fois aux Jeux Olympiques. Les joueurs refuseront leur médaille d’argent acquise, il est vrai, dans un contexte extrêmement confus. Retour sur les trois dernières secondes du match qui durèrent une éternité.

 

Par Didier Le Corre

 

C’était une époque à la fois terriblement frustrante et formidablement enthousiasmante. Frustrante, car les fans de basket étaient dans l’ignorance totale de l’évolution du jeu. De ce côté-ci de l’Europe, personne n’avait une idée précise de ce qu’était véritablement le basket américain. Des bribes d’informations traversaient bien l’Atlantique, mais avec un décalage de temps important et sans véritablement d’images qui auraient permis de se situer par rapport à un monde qui était assez fantasmé. Quelques privilégiés avaient pu assister à des matches de NBA mais étaient bien incapables de traduire la qualité de jeu qui semblait largement supérieure aux États-Unis. Deux faits cependant symbolisaient la nette supériorité américaine sur le reste du monde. La qualité individuelle des premiers joueurs américains qui arrivaient dans les clubs européens, archi dominateurs dans le jeu, et les résultats des différentes sélections US qui s’imposaient assez facilement dans les tournois internationaux.

C’était aussi formidablement enthousiasmant car cette absence d’informations était la promesse de découvertes étonnantes. Voir apparaître alors une sélection nationale, c’était aussi voir se profiler un style de jeu qui ne ressemblait à aucun autre. Loin d’être aseptisé comme aujourd’hui, le basket était alors l’expression de la culture d’un pays : la discipline et l’organisation italienne, la vitesse et l’impact des Espagnols,  le jeu très aéré et intuitif des Soviétiques, etc., etc. Ainsi, à Mexico, lors des Jeux Olympiques de 1968, la presse et les observateurs succombèrent au charme de l’équipe olympique américaine qui domina ses adversaires autour de quelques joueurs d’exception comme Spencer Haywood ou JoJo White, des gamins de 18 ou 19 ans, et pratiquant un basket reposant sur des qualités athlétiques et une vitesse de jeu jamais vues de ce côté-ci de l’Atlantique.

L’équipe olympique de 1972 semblait programmée de la même manière pour s’imposer sans trop de heurts. Composée de douze jeunes joueurs brillants, tous âgés de 19 à 21 ans, et parmi les meilleurs de la NCAA, la formation américaine devait poursuivre sur la route de ses devancières. Le bilan des Américains aux Jeux était jusqu’ici parfait. Sur les sept olympiades, les États-Unis avaient remporté la totalité de leurs 55 matches ! Rien ne pouvait laisser envisager l’échec.

63 victoires de suite pour les États-Unis

Les premières rencontres ne laissèrent d’ailleurs planer aucun doute. La taille et la puissance physique des joueurs américains écrasèrent leurs adversaires. Avec sept joueurs de plus de 2 m, dont les géants Tom McMillen (2,11 m) et Tom Burleson (2,24 m), ils jouaient à l’étage supérieur. Jusqu’à la finale face à l’URSS, leurs opposants furent limités à 43,7 points en moyenne ! Seul bémol, s’ils arrivaient aussi bien à asphyxier leurs adversaires en défense, le jeu d’attaque n’était en revanche pas des plus flamboyants. Ils ne s’étaient imposés que 61-54 face au Brésil et 72-56 face à l’Espagne, deux clients un peu plus sérieux que les Égyptiens et les Japonais, détruits respectivement 96-31 et 99-33 en matches de poule.

Dans l’autre groupe de qualification, leurs adversaires programmés pour les affronter en finale, les Soviétiques, proposaient un basket plus équilibré reposant sur une attaque au jeu plus fluide. Plus matures, plus expérimentés, avec une moyenne d’âge de 25 ans, les champions d’Europe en titre, n’allaient certainement pas s’offrir en victimes expiatoires. Ce qui fut le cas.

De ce fait, les maillots rouges sont longtemps devant pendant cette finale. Pour la première fois dans l’histoire du basket, les Américains courent au score. Entre temps, ils ont remporté leurs huit premiers matches du tournoi pour porter leur total à 63 victoires consécutives. Pourtant, ce 9 septembre, ils n’en mènent pas large. L’ambiance dans cette Olympia Halle est devenue électrique. Contrôlant toujours le jeu, les Soviétiques mènent 49-48 et ont le ballon en main. Il ne reste que dix secondes, la victoire ne peut leur échapper. Mais soudain, coincé par la défense des Américains, Alexander Belov commet la gaffe. Après un tir contré, dont il récupère le rebond, sans solution, il tente de rendre le ballon à son meneur de jeu, son homonyme, Sergei Belov. La passe en retrait, trop molle, est interceptée par Doug Collins qui file vers le panier. Il est fauché en plein vol par une vilaine faute du Géorgien Zurab Sakandelidze, qui lui a plongé dans les jambes. Il reste trois secondes à jouer. Et Doug Collins bénéficie de deux lancers-francs. Qu’il réussit. Les États-Unis passent alors devant : 50-49. Et là, tout devient compliqué…

Pour trois secondes

Sur le deuxième lancer de Collins, on entend une sonnerie provenant de la table de marque. Le coach soviétique, Igor Kondrachine, a demandé un temps-mort. Mais dans la folie ambiante, les joueurs ne l’ont pas entendue. Ils ont remis la balle en jeu. Au bout d’une seconde à peine, l’arbitre siffle pour arrêter le match et indique que le coach soviétique a demandé un arrêt de jeu. Les Américains protestent. Mais Kondrachine peut prendre son temps-mort. Problème, le chrono indique une seconde restante alors qu’il y en a au moins deux, et trois très logiquement si le temps-mort est accepté. Mais à la table de marque, c’est la panique. Le chrono affiche même 50 secondes de jeu ! Fin de temps-mort. Sur la remise en jeu, les Soviétiques font n’importe quoi. La passe tout terrain du Kazakh Alzhan Zharmukhamedov touche à peine les doigts d’Alexander Belov et file dans les tribunes. Et la sonnerie de fin de match retentit ! Les Américains bondissent de joie, ils sont champions olympiques. Sauf que… Sauf que si vous avez bien suivi, il reste normalement toujours trois secondes de jeu. Et dans cette folie ambiante, un seul homme a conservé son sang-froid : Renato William Jones, le patron de la FIBA. On le voit alors sur l’image, maintenir sa main avec trois doigts tendus et demander à la table de marque de remettre le chrono à trois secondes. L’horloge est, on vous le rappelle, à 50 secondes ! Preuve de la panique générale qui régnait autour du parquet à ce moment-là.

On va donc jouer ces trois secondes. Ou plutôt rejouer ces trois secondes qui n’ont jamais pu se dérouler normalement. Et là, c’est le Biélorusse Ivan Edeshko qui se charge de la remise en jeu. Après avoir hésité à monter sur lui, Tom McMillen recule, fait l’erreur de le laisser libre de sa passe. Edeshko catapulte un missile tout terrain dont parvient à se saisir Alexander Belov. D’un coup d’épaule, le pivot du Spartak Leningrad, envoie bouler Jim Forbes et Kevin Joyce, et dépose la balle dans le cercle. Les Soviétiques mènent alors 51-50 et il reste deux secondes à jouer… qui n’auront jamais lieu ! Le coach américain, Hank Iba, tente de négocier ces deux secondes à la table de marque mais pour les arbitres et les officiels, le match est fini. Les Soviétiques sont champions olympiques dans un désordre total. Mais ils sont bien champions olympiques. Et les Américains sont battus pour la première fois dans l’histoire des JO.

Le coach, Hank Iba, dépose une réclamation. Il estime que le temps-mort demandé par Kondrachine n’était pas valable car demandé après les deux lancers-francs, alors qu’il aurait dû l’être entre les deux tirs. Ce que réfute le camp soviétique. La réclamation est examinée le soir même. Sous l’autorité de Renato William Jones, le jury composé de cinq membres de la FIBA, délibérera pratiquement toute la nuit. Trois représentants sur les cinq votent contre la réclamation américaine, deux votent pour. La nationalité des trois jurés qui entérinent la victoire soviétique – cubain, hongrois et polonais – confortent les Américains dans leur sentiment d’injustice. Cuba, Hongrie et Pologne font partie du bloc communiste. Les deux jurys qui eux acceptent la réclamation américaine sont un Italien et un Portoricain. L’Est contre l’Ouest. Une manifestation de la Guerre froide ? Mais est-ce aussi simple ?

La délégation américaine est furieuse. Les joueurs refusent de recevoir leur médaille d’argent. «Si nous avions été battus, je serais fier de montrer ma médaille d’argent. Mais nous n’avons pas été battus, nous avons été volés», dira ainsi Mike Bantom, l’un des pivots de la sélection. «J’ai fait prêter serment à ma femme et à mes enfants de ne jamais accepter de recevoir cette médaille d’argent des Jeux Olympiques après ma mort», lâchera le meneur Kenny Davis.

Une faible Team USA

Après avoir considéré qu’ils avaient été volés de leur victoire, les observateurs américains commencent alors un piteux procès des joueurs. Bill Russell a des mots très durs : «Jamais une si faible sélection nous a représentés aux Jeux Olympiques. Aucun de ces joueurs ne peut jouer en NBA». Formulés sous le coup de la frustration, ces propos aigres ne seront bien sûr pas vérifiés. À l’exception du seul Kenny Davis, tous deviendront d’excellents joueurs de NBA deux ou trois ans après. Bill Russell estimait que ces douze joueurs présents sur le parquet de Munich n’étaient pas les meilleurs. En réalité, ils étaient et auraient dû être meilleurs. Seuls manquaient vraiment à l’appel parmi les meilleurs joueurs NCAA Bill Walton, Henry Bibby et Jim Chones. Il y avait là assez de talent pour s’imposer largement mais jamais le coach Hank Iba ne laissa ses joueurs s’exprimer librement. Contraints d’évoluer dans un système de jeu très rigide, ses boys ont opéré contre nature, verrouillant en défense, mais ne prenant aucun risque en attaque.  Il aurait sans doute été plus judicieux de laisser libre cours à l’inspiration de quelques-uns de ses jeunes talents.

Mais le vieux Hank Iba, qui venait de fêter ses 68 ans, et qui avait mené les sélections de 1964 et 1968 à la victoire, était dépassé par l’évolution du basket international. Voilà deux ans qu’il n’était plus coach de NCAA  après une dernière saison avec Oklahoma State, sa… quarante-et-unième dans le championnat universitaire. Difficile en effet de demander à un tel monument d’avoir les ressources pour s’adapter au basket en mouvement de Soviétiques inconnus, alors qu’il avait débuté avec Northwest Missouri State en… 1929 !

Voici la bande annonce du film “Aller plus haut” (Dvijenie vverkh en version originale), qui revient sur cette victoire aux Jeux Olympiques de 1972.

Le film a rencontré un énorme succès en Russie, devenant le plus rentable de l’histoire du cinéma russe.

 

Extrait du numéro 6 de Basket Le Mag (Mars 2017)