Dans une salle de 3 500 places, au cœur d’une ville de 40 000 habitants et d’une région hautement concurrentielle sportivement, le club de Bourg-en-Bresse a bâti un budget dépassant les 6 M€, est invité en Eurocup, et régulièrement cité comme exemple par ses concurrents. Quelle est la méthode de la JL ? Reportage.

PAR YANN CASSEVILLE, A BOURG-EN-BRESSE – PHOTOS : JACQUES CORMARÈCHE/JL BOURG

«Isiaha, viens, rapproche-toi.» Julien Desbottes, le président de la JL Bourg, interpelle l’un de ses joueurs, Isiaha Mike. La journée touche à sa fin en ce dimanche 12 février. Quelques minutes plus tôt, l’hôte bressan s’est offert une victoire de référence contre Monaco. Dans le salon VIP d’Ekinox, Desbottes, sur l’estrade avec joueurs et staff face aux centaines de partenaires, demande à Mike de se mettre dos au public. Le président pointe du doigt son t-shirt (le même porté par tous ses coéquipiers) et son slogan : Mission 2023. La JL est en quête d’un premier trophée dans l’élite. Une semaine plus tard, a Saint-Chamond, après s’être repayé le scalp de Monaco puis avoir dominé Dijon, voici Bourg en finale de la Leaders Cup. Mission… inachevée. Ce jour-là, l’ASVEL évolue un ton au-dessus. « On a passé un très bon week-end », apprécie tout de même le coach Freddy Fauthoux, remerciant son groupe pour le jeu proposé. « Un basket qui peut nous faire avancer. » Et qui a séduit par son collectif. « Bourg, c’est assez impressionnant », acquiesce Elric Delord, l’entraîneur du Mans. «Ils partagent la balle, ils jouent vraiment les uns pour les autres», salue Saša Obradović, qui aimerait que son armada monégasque puisse s’en inspirer.

Au-delà de ce week-end, et sans même parler du jeu, la JL est devenue ces dernières années une référence dans le championnat de France. Une source d’inspiration. Régulièrement, quand Basket Le Mag interroge des dirigeants de clubs sur le paysage du basket français, nombreux sont ceux qui, d’eux-mêmes, prennent la JL en exemple pour son développement. Celui-ci a été remarqué jusqu’en dehors des frontières. Les clubs invités en Eurocup cette saison : Londres et Paris, deux capitales, Prometey, club ukrainien délocalisé en Lettonie, et Bourg-en-Bresse. « C’est une marque de reconnaissance considérable », observe Julien Desbottes.

LA VISION DE DESBOTTES

Frédéric Sarre, directeur sportif depuis 2015 et dont le premier passage au club, comme coach, remonte à 2004, peut témoigner de l’évolution de la Jeunesse laïque. « De la salle Amédée-Mercier à Ekinox aujourd’hui, il y a bien plus de monde dans les bureaux. Avant, avec Gérald Simon (assistant), on passait le balai, on ramenait les maillots, on gonflait les ballons », sourit-il. Aujourd’hui, Fauthoux peut se concentrer sur le coaching. « Toutes les cases sont remplies, de la diététicienne à plusieurs assistants à la préparatrice mentale », apprécie le coach. Qui a rejoint la JL a l’été dernier notamment en raison de la solidité de ses structures.

« Le club s’est construit en prenant soin de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Ils n’ont pas dit : on met tout l’argent sur le sportif. » Illustration lors de la descente en Pro B en 2015, un an seulement après l’accession à l’élite : « La première action mise en place par le président a été d’embaucher un commercial, pas de mettre de l’argent dans les joueurs », raconte Sarre, qui attribue l’ascension de la JL a la stratégie établie par Julien Desbottes, qu’il a vu passer du statut de trésorier a celui de président.

Frédéric Sarre et Didier Lamy, debriefing d’après match dans l’espace VIP & partenaires.

Celui-ci, soutenu par Didier Lamy, président du club affaires et du conseil de surveillance, a bâti une structure en deux colonnes, sportif et hors-terrain, incarnées par Sarre et Fabrice Pacquelet (directeur général). De quoi former un quatuor dans lequel chacun connaît son rôle et surtout partage une même vision : plus qu’une adhésion au projet, une appropriation. Et chaque lundi, de 12h à 14h, tous se réunissent avec le coach. « Comme ça, on a une vision globale du club. En tant qu’entraîneur, c’est rassurant », dit Fauthoux.

DES INSPIRATIONS AMÉRICAINES

« Être différent, être identitaire : notre projet repose là-dessus », expose Desbottes. La création de l’école des meneurs, dont est issu Hugo Benitez, fierté locale, s’inscrit dans cette lignée. Plutôt que de se concentrer sur les qualités athlétiques, le centre de formation met l’accent sur «la compréhension du jeu, la technique, le leadership… », liste Sarre. « On ne veut pas des garçons capables de réciter, on veut avant tout faire des joueurs, on insiste sur le jeu.

“LE CLUB S’EST CONSTRUIT EN PRENANT SOIN DE NE PAS METTRE TOUS SES OEUFS DANS LE MÊME PANIER. ILS N’ONT PAS DIT : ON MET TOUT L’ARGENT SUR LE SPORTIF.”

Freddy Fauthoux

 

C’était la philosophie de Pierre Murtin. » La salle d’entraînement porte le nom de l’homme décédé en 2020, l’un des meilleurs formateurs que le basket français ait connus.

Dans tous les domaines, Desbottes pousse ses équipes à innover, valorise l’ouverture d’esprit et la curiosité. Avant de devenir source d’inspiration, la Jeu a elle-même puisé des idées chez la concurrence. Arrivé au club en 2011, Fabrice Pacquelet, durant ses premières années, a fait tous les déplacements. « Je voulais voir comment les autres travaillaient et c’était rare que je ne revienne pas sans avoir vu quelque chose d’intéressant », dit-il. Aux éléments concrets piochés ci et là, s’est ajoutée une « inspiration plus globale » venue d’outre-Atlantique : NBA, hockey, foot américain, « pour la dimension sport-spectacle ». Le club a visité les infrastructures de Dallas en San Antonio en 2017, puis en 2019 celles du Žalgiris Kaunas en Lituanie, ou se trouve le meilleur mélange en Europe entre la passion pour le sport et l’attention portée au show dans la Žalgirio Arena de 15 500 places. Ekinox, qui peut accueillir 3 500 personnes, ne joue pas dans la même cour, mais la JL a fait de son entrée dans sa nouvelle salle en 2014 un accélérateur. « Je suis arrivé deux ans et demi avant l’inauguration », rappelle Pacquelet. « Les dirigeants ont structuré encore plus le club en disant : si on veut qu’Ekinox soit un tremplin, il faut qu’on arrive avec un maximum d’élan, et donc se préparer. C’était précurseur. »

L’Ékinox (3500 places) inaugurée en novembre 2013 et dont l’un des axes stratégiques avant sa construction était la dimension spectacle d’un match.

“UN DES MEILLEURS SHOWS D’EUROPE !”

A mi-saison, Ekinox affichait un taux de remplissage de 95%. « On a 48% de femmes dans la salle, et des jeunes », précise Desbottes. Pour attirer un public plus diversifié, là encore, la JL soigne le hors-terrain. « Ce n’est pas non plus la NBA, mais pour moi, on a un des meilleurs shows d’Europe !», s’enthousiasme Loïc Michel, directeur marketing et communication. « On doit être l’une des rares salles à pouvoir cumuler noir salle, lumière scénique, synchronisation de tous les éléments LED du cube vidéo, en bord terrain, tout ça synchronisé avec la musique. »

Il y a dix ans, pour compléter le dispositif scénique livré avec Ekinox, le club avait investi 300 000 €. Dernièrement, toujours pour l’expérience spectateur, il n’a pas hésité à débourser 2 500 € pour installer un maillot gonflable géant de 6 mètres à l’entrée de la salle – « Inspiration de Saint-Étienne au foot », glisse Michel.

“EN 2023, LE 1055 SERA, ET DE TRÈS LOIN, LE PLUS GROS SPONSOR DU CLUB.”

Julien Desbottes

Chaque année, un match à thème est organisé : Casa de Papel l’an dernier, Harry Potter cette saison. « On a acheté une centaine de costumes pour que les bénévoles soient immergés dans l’ambiance, on avait placé des figurants à l’entrée du parvis, on avait distribué des lettres d’invitation façon Poudlard avec cachet de cire… », détaille Michel. « Le match Harry Potter, c’est 10 000 € qu’on ne met pas sur autre chose. Ce sont des choix économiques », enchaîne Desbottes. Avec, toujours, un regard porté sur l’avenir : « La première année on investit, et la deuxième, on essaie de trouver des partenaires ».

Le 1055, complexe de loisirs qui réunit de nombreuses activités (bowling, Kid Park géant, Laser Game, Trampoline Park, restaurant…) pour les familles et tous les âges.

LE 1055 POUR FRANCHIR UN CAP

Le président, expert-comptable au quotidien, est à la tête d’un club a 6,4 M€ de budget, le 7e de Betclic Élite. Dans une salle de 3 500 places, dans une ville de 40 000 habitants où cohabitent des clubs de rugby et foot en 3e division, dans un environnement concurrentiel (Oyonnax, l’ASVEL…), la somme force le respect. Le club, dont 52 % des recettes provenaient des sponsors privés la saison écoulée (1er en Betclic Élite avec Cholet), a cassé son plafond de verre avec un dispositif envié par bien des voisins : le 1055.

A côté d’Ekinox, sur plus de 4 000 m2, s’étale un espace de loisirs : restauration, trampoline, bowling, écran géant… Il y a quelques années, la JL a racheté un site a l’abandon, s’est rapprochée du 1055 qui existait à Lons-le-Saunier, et a acheté une licence afin de développer la version burgienne. « Quand on est entré dans Ekinox, on a vite vu qu’on aurait un plafond de verre, on a cherché des voies de diversification, et on a créé le 1055 », explique Desbottes. Investissement global : 7,5 M€. Le club est propriétaire du lieu à 50 %, en immobilier et en exploitation.

Ouvert 365 jours par an, le 1055, dirigé par Pacquelet, permet à la JL de développer son activité en dehors des soirs de match.

“QUAND VOUS ÊTES DANS UNE STRUCTURE SPORTIVE, GAGNER UN TROPHÉE EST LE GRAAL. ÇA VIENDRAIT COURONNER LE TRAVAIL EFFECTUÉ DEPUIS DES ANNÉES.”

Fabrice Pacquelet

Après deux années gâchées par le Covid, l’établissement, lancé en 2019, a connu en 2022 son premier exercice complet. « On a fait 3,6 M€ de chiffre d’affaires en 2022. C’est au-delà de tous nos tableaux Excel », révèle Desbottes. « En 2023, le 1055 sera, de très loin, le plus gros sponsor du club.»

EN QUÊTE DE TITRE

Quelles sont les prochaines étapes ? La JL accentue ses efforts sur la formation – création de logements pour les espoirs – et pousse une cellule de performance dirigée par Fabrice Serrano, concentrée sur la préparation physique et le suivi médical. Tous ces projets ont pour objectif premier la pérennité du club, et partagent une ambition commune : aider l’équipe professionnelle a gagner. « Quand vous êtes dans une structure sportive, gagner un trophée est le Graal. Ça viendrait couronner le travail effectué depuis des années », confirme Pacquelet. « Il faut se maintenir dans le Top 8, faire l’Europe, et saisir les opportunités. » Sportivement, alors que Sarre se dirige vers la retraite à l’automne, la JL a engagé François Lamy comme consultant. Ancien agent de joueurs, il est l’un des Français disposant du plus grand réseau dans le basket européen, fut un élément clé de la réussite de Nanterre dans les années 2010, et dernièrement officiait à l’ASVEL puis Kaunas. « Le club l’a intégré pour essayer d’être encore plus audacieux, en anticipation dans le scouting », réagit Sarre. Cette saison, la réussite du recrutement (James Palmer Jr. venant de Pologne, Jordan Floyd et Isiaha Mike découvrant la coupe d’Europe) ajoutée a l’alchimie collective font de ce groupe de 11 pros une formation a même de tenir les cadences infernales. La JL reste ainsi engagée sur trois tableaux : championnat, Coupe, Eurocup. La « Mission 2023 » se poursuit. Et, quoi qu’il arrive, l’objectif est qu’elle ne marque pas une fin, mais une étape dans le développement. Ainsi réfléchit et avance la JL.

 

Extrait du numéro 72 de Basket Le Mag (mars 2023)