Laurent Legname (42 ans) s’est imposé en quelques saisons comme l’un entraîneurs français les plus en vogue. Quelle est sa méthode ? Que penser de ses célèbres coups de gueule ? Comment expliquer la réussite de Dijon ? Pour Basket le Mag, il se confie comme rarement.

 

Propos recueillis par Yann Casseville

 

Vous avez été joueur une quinzaine d’années, arrière shooteur, à Hyères-Toulon. Imaginiez-vous alors devenir coach ensuite ?

Quand tu es petit, à l’école primaire, tu dis ce que tu veux faire plus tard, et moi, c’était basketteur professionnel et coach. J’ai toujours été intéressé par ça. Quand j’étais joueur, je regardais les matches à la télé, ce qu’on pouvait faire ou non. Après mon bac, j’ai continué mes études pour passer le professorat d’EPS, que j’ai réussi, et toutes ces études, pendant cinq ans, cours de management, socio, psycho, m’aident, parce que tu vois comment gérer un groupe. Que ce soient des élèves, des pros ou des amateurs, c’est gérer des humains avant tout. Ça m’a toujours plu.

Vous avez effectué la transition au HTV. Que représente ce club pour vous ?

Beaucoup, beaucoup de choses. Mon père a créé la section à Hyères, avant que ça ne s’appelle le HTV, en 1970, donc quand je suis né, en 1977, j’ai baigné dedans. Il m’a amené au gymnase à 2 ans. Même si j’ai commencé par le foot, de 6 à 11 ans, après je me suis mis au basket, au HTV, et on a gravi tous les échelons, jusqu’à la catégorie pro. Ma mère aussi a joué au basket dans ce club. Ça restera mon club de cœur, et une partie intégrante de ma vie, à la fois professionnelle et privée, parce que dès le début, c’était lié. Les gens ne se rendent pas compte, mais ce qu’on a fait au HTV, monter le club en Pro A et le maintenir plus de dix ans, avec la dernière masse salariale, c’était inespéré.

Depuis vos débuts de coach, vous enchaînez les saisons réussies. Dans un métier où une série de défaites peut vite indiquer la sortie, avez-vous peur que tout cela ne dure pas ?

Toujours. Toujours. Je garde toujours les pieds sur terre, je sais trop bien que ça peut aller très vite. Pour l’instant, en sept ans de coach principal, en ayant toujours une masse salariale de deuxième partie de tableau, je n’ai connu qu’une année difficile. Je signe tous les jours pour avoir un ratio pareil dans la suite de ma carrière. La seule année où les résultats n’ont pas suivi, c’est en 2016-17, et j’ai encore cette saison en tête. Je la garde en moi pour essayer de ne pas refaire les mêmes erreurs et surtout pour garder les pieds sur terre.

Parce que Jean-Louis Borg vous a très longtemps coaché au HTV puis vous a fait venir à Dijon, où il est manageur général, il a peut-être été difficile pour vous d’imposer votre personnalité aux yeux du monde extérieur. N’est-ce pas saoulant d’être vu comme son protégé, ou sa nouvelle version ?

Saoulant, ce n’est pas le mot. Mais il faut remettre la réalité en place. Jean-Louis est quelqu’un qui a eu une importance dans ma vie de basketteur, il m’a formé de benjamin jusqu’en pro, m’a donné ma chance, et je lui en suis toujours reconnaissant. Mais je suis un coach différent de Jean-Louis, tout simplement. Les gens font le parallèle, disent qu’on s’appuie sur la défense tous les deux. Mais la défense, c’est ce qui fait avoir des résultats sur la durée ! On a cette ADN de jeu sur la défense, avec des similitudes sur la trappe, mais ça s’arrête là. Il avait une manière de défendre le pick’n’roll qui n’est pas la mienne. Offensivement, je n’ai aucun système de Jean-Louis. Le management, on ne le fait pas de la même façon. Il faut que les gens arrêtent de penser que je suis le protégé ou le successeur de Jean-Louis, c’est faux. Depuis cinq ans à Dijon, il a son rôle de manageur général, moi j’ai mon rôle avec mon staff, et il n’y a pas d’interférence. La partie terrain, les entraînements, le scouting, la vidéo, le recrutement, c’est moi avec mes assistants, et Jean-Louis n’intervient pas, il a d’autres tâches. Et ça fonctionne parce que chacun a son rôle et a confiance.

Le cliché du coach obsédé par la défense vous suit, pourtant la JDA se classe 5e attaque (84,7 points), 1ère à l’évaluation (102)…

(Il coupe) Depuis deux ans, on est dans le Top 3 aux passes décisives.

Dans le basket moderne, plus aucune équipe ne truste le haut du classement en gagnant des matches 55 à 53.

Pour terminer sur le sujet, c’est pour ça que c’est différent de Jean-Louis, ce n’est pas du tout pareil. Cela dit, même au HTV, j’ai toujours insisté sur la défense. Quand tu n’as pas beaucoup de moyens financiers, tu as moins de talent parce que les meilleurs vont dans les clubs plus huppés, donc il faut défendre. L’état d’esprit pour faire les efforts, tout le monde peut l’avoir. Depuis que je coache, je n’ai jamais dit : «Lui, il ne peut pas défendre». Tout le monde peut. Il suffit d’avoir la volonté, un état d’esprit, et une organisation collective, où chacun a un rôle. La défense détermine tout : donner moins de confiance à l’adversaire, avoir du rythme en attaque. Je pars de ce postulat, mais ça ne veut pas dire que je délaisse l’aspect offensif. En attaque, j’ai beaucoup de formes de jeu, et là aussi c’est un collectif, il n’y a pas que deux-trois joueurs qui scorent, tout le monde peut apporter de la création, du scoring, avec un ballon qui bouge.

Vous insistez sur le partage des responsabilités. À l’ASVEL, Zvezdan Mitrović est apprécié pour se montrer aussi dur, et donc juste, avec tous ses joueurs, sans tenir compte de leur statut, leur âge, leur salaire. Vous avez le même management ?

Je pense que l’image que je renvoie est un peu faussée. Les gens voient un ou deux de mes temps-morts, ils se disent : «Putain, il gueule !» Ça peut paraître un peu waouh. Ce qui me fait rire, c’est que si je m’appelais Legnamovic, les gens diraient : «C’est bien, c’est un coach qui arrive à tenir des egos». Comme quand on parle – toutes proportions gardées – d’Obradović, Jasikevičius, des grands coaches, quand on les voit en Euroleague, on dit : «Waouh, ils arrivent à leur gueuler dessus !» Aux yeux des spectateurs, partenaires, même des dirigeants, quand c’est un coach étranger qui fait ça, on dit «C’est super», et quand c’est un coach français : «C’est pas bien». Ce sont des idées reçues. Et les gens ne voient pas tout ce qu’il y a en amont. Quand je gueule, ce n’est jamais à vide, les joueurs savent le contenu qu’il y a derrière. Quand il y a une erreur défensive alors qu’on travaille dessus depuis deux entraînements, je ne vais pas rester impassible. On dit souvent que les coaches français sont trop tendres, pas assez durs. Non ! J’ai mon caractère et je ne le changerai pas, et dans ce métier il faut avoir un fort caractère, parce qu’on gère des très forts caractères avec des egos surdimensionnés. Il faut cette capacité à taper du poing sur la table, quel que soit le joueur. Beaucoup de coaches protègent les leaders, pour je ne sais quelle raison. Mais si tu ne leur tapes jamais dessus, les 6-7-8e joueurs, ils vont se dire : «Attends, ça ne va pas là…» Il faut que tu sois juste du premier joueur au dixième. David Holston, le MVP du championnat, quand j’ai quelque chose à lui dire, quand il n’est pas bon, je lui dis.

Et les coups de gueule font le tour de la planète avec les réseaux sociaux, mais ne sont qu’une infime partie du quotidien ?

Les gens disent : «Ça doit être dur à Dijon, le coach ne fait que gueuler !» Mais si tu interroges mes joueurs, je gueule très peu. Aux entraînements, je suis très exigeant, oui, mais je ne gueule presque jamais, je passe mon temps à expliquer calmement. Dans la préparation de match, pareil, au contraire je suis très positif, j’accompagne mes joueurs. Tout ça fait que quand ça ne va pas, je peux me permettre de gueuler. Et ils comprennent.

En 2017-18, Dijon a égalé son meilleur classement (5e), avant de réaliser la meilleure saison de son histoire en 2018-19 (3e et demi-finaliste). Pour 2019-20, vous êtes actuellement 3e en Jeep Élite et 1ers de votre groupe en BCL. Vous voici considérés comme un sérieux outsider du championnat… au point d’oublier que vous disposez d’une petite masse salariale ?

L’année dernière, votre magazine avait fait un ratio entre masse salariale et classement sur les dernières années, et Dijon était premier, haut la main. Excepté la saison 2016-17, où on termine 13e – ce qui n’est pas catastrophique non plus –, on a toujours été à 20 victoires minimum. Au HTV, pareil. Mais les gens, même à Dijon, ne se rendent pas compte. À leurs yeux, on a rendu l’impossible possible, la nature humaine est comme ça. Mais ces résultats dans la durée, ce n’est pas normal ! Enfin, pas normal… Je ne sais pas trop comment l’expliquer. Avant cette saison, les gens disaient : «Dijon sera là, fera partie des outsiders». Mais non, normalement, non.

À défaut d’un secret, quelle est votre recette ?

C’est très difficile à dire, il y a tellement de facteurs qui expliquent une réussite ou son absence. Il faut travailler bien sûr, je ne transige pas sur la rigueur, la discipline, mais ce n’est pas que le travail – les autres clubs travaillent aussi ! Il y a l’environnement. À Dijon, je peux travailler dans la sérénité, c’est-à-dire que personne ne m’emmerde sur ma partie terrain, que ce soit Jean-Louis, le président, il n’y a pas de pression. Il y a aussi l’état d’esprit des joueurs qui passent chez nous. Ce n’est pas anodin si Axel (Julien) et David (Holston), ça fait cinq ans qu’ils sont avec moi. On a une relation privilégiée, construite ensemble. Quand on voit (Alexandre) Chassang, on est allé le chercher, il était entre guillemets au fond du trou au HTV, personne n’aurait misé 2 € qu’il aurait cette trajectoire. Jacques Alingue, c’était un role player, il est parti de chez nous et a signé à Strasbourg. Valentin Bigote, personne n’y croyait, je suis allé le chercher en Pro B, maintenant il est l’un des top-scoreurs français de Pro A. Obi Emegano, on est allé le chercher en Pro B. L’année dernière, j’ai la paire Ryan Pearson-Gavin Ware, tout le monde dit : «Comment tu vas faire pour défendre avec eux ?» Résultat, on est 4e défense. Rasheed Sulaimon est revenu cette saison. Comme on disait tout à l’heure : mes joueurs, je leur gueule dessus parfois, mais il y a une vraie relation de respect et une confiance. Ils savent qu’à Dijon, il faut se mettre les couilles par terre, avec un coach exigeant, mais que si tu t’inscris dans le projet, ça peut avoir des retombées positives. Après, l’année dernière on a viré Robert Arnold, il y a deux ans on a viré deux joueurs (J.J. Frazier et Steve Taylor), cette saison on s’est séparé de Mike Young. On se trompe aussi !

Dijon est troisième derrière l’ASVEL et Monaco, qui ont plus de rotations et de moyens. Quelle est votre ambition : ne rien s’interdire, rappeler que la finale ASVEL-Monaco n’a rien d’assuré ?

Je suis toujours ambitieux. Si tu me disais qu’on allait jouer le Real Madrid, je passerais directement un message aux joueurs en disant : «C’est possible». Tant que ce n’est pas joué, on peut battre tout le monde. Sur un match, avec le cœur, la défense… Mais je prends match par match. On n’est à l’abri de rien, on n’a de marge sur personne. Il faut avoir cet état d’esprit de répéter les mêmes efforts à chaque match. Si on parle plus de nous, est-ce qu’on aura la capacité à rester nous-mêmes ? On n’est pas qualifié en playoffs. Ce que je sais, c’est qu’on a joué une fois l’ASVEL, une fois Monaco, et c’est beaucoup plus fort, il n’y a pas photo. C’est la réalité ! En plus, on les a joués chez nous, et ils étaient au-dessus. On n’a pas fait les meilleurs matches, mais quand eux jouent sérieusement, à leur niveau, pour l’instant, on ne peut pas lutter. Ça ne veut pas dire que contre eux, je ne vais pas tout faire, pas du tout. Mais il faut être lucide. Garder l’ambition, mais match après match.

Les joueurs parlent de leurs objectifs à moyen terme, d’Euroleague, de NBA. Moins souvent les coaches. Vous êtes sous contrat avec Dijon, jusqu’en 2021, mais avez-vous des envies : diriger une équipe avec plus de moyens financiers, tenter l’étranger ?

J’ai toujours ce truc en moi qui me dit que ça peut aller très vite dans les deux sens, mais j’ai gardé ce côté compétiteur et ambitieux que j’avais quand j’étais joueur. Je veux coacher au plus haut niveau, tout simplement. L’Euroleague et l’équipe de France, ça, c’est le plus haut niveau. Ça n’arrivera peut-être jamais, je le sais, mais bien sûr que je veux coacher dans un plus grand club – sans porter préjudice à Dijon. Surtout quand depuis quelques années tu as des résultats, tu te dis : «Qu’est-ce que tu ferais dans un autre contexte, avec plus d’argent ?» L’étranger, ça m’intéresse également. Je ne dis pas que je vais y arriver, mais si tu n’es pas guidé par un objectif ambitieux, qui te pousse à te lever tous les matins pour travailler, il faut faire autre chose. Ce n’est pas de la prétention, c’est se fixer des objectifs hauts pour C de les atteindre.

Extrait du numéro 38 de Basket Le Mag (Février 2020)