En Lituanie, le Žalgiris Kaunas, plus qu’un club de basket, est une institution. Une fierté. Un lien qui se transmet de père en fils. Des journalistes lituaniens et la légende Šarūnas Jasikevičius, aujourd’hui coach de l’équipe, expliquent cette transmission, le poids de l’histoire, la passion.

Par Yann CASSEVILLE

En Lituanie, pays fou amoureux de la balle orange, Kaunas est appelée la «capitale du basket». Dans cette ville de 300 000 habitants (575 000 avec l’aire urbaine), dribbler n’est pas seulement jouer. C’est vivre. «Les matches du Žalgiris Kaunas jouent un rôle important dans le quotidien de la ville et même de la Lituanie. Nous appelons le Žalgiris : l’équipe de tous les Lituaniens. À Kaunas, les caissiers, barmen, tous le monde a quelque chose à dire au sujet du club», explique Rytis Kazlauskas, journaliste pour le site Delfi. «Même quand tu essaies de sortir avec des filles à Kaunas pour le fun, il va arriver un moment où elles te diront à quel point elles sont fières du Žalgiris», enchaîne un autre journaliste lituanien, Donatas Urbonas, du site 15min. «Je crois que les habitants de Kaunas vont plus souvent aux matches du Žalgiris qu’à l’église le dimanche !» Ici, le basket est une histoire de famille. «Des enfants aux grands-parents, c’est une tradition», poursuit Urbonas.

Les victoires contre Moscou
À Kaunas sont nés Arvydas Sabonis, Šarūnas Marčiulionis – tous deux ont chacun ouvert une école de basket en ville –, Šarūnas Jasikevičius, Rimas Kurtinaitis, Žydrūnas Ilgauskas, Linas Kleiza… Un peu comme si Tony Parker, Boris Diaw, Nando De Colo, Hervé Dubuisson et Antoine Rigaudeau avaient tous vu le jour à Strasbourg. «Chaque gamin de Kaunas grandit avec le Žalgiris. Ils ont cette passion», dit Urbonas. «Ici, beaucoup de jeunes commencent par le basket, et s’ils n’y arrivent pas ensuite ils vont vers autre chose. Il y a de très bonnes écoles de basket pour s’entraîner chaque jour après l’école», témoigne l’un des enfants de la ville devenu une légende vivante du basket européen, Šarūnas Jasikevičius, champion d’Europe 2003 et quadruple vainqueur de l’Euroleague (2003, 2004, 2005, 2009). L’ex-meneur est désormais l’entraîneur du Žalgiris.
L’amour de ce club fondé en 1944 est ancré dans le cœur des habitants notamment grâce au triplé du Žalgiris de 1985 à 1987 dans le championnat soviétique qui mit fin à l’hégémonie du CSKA Moscou. Alors que le pays allait bientôt retrouver son indépendance (en 1990), ces titres ont empli de fierté tout un peuple englouti par l’Union Soviétique. «Le basket était la seule façon pour nous de battre les Russes. C’était très important pour le pays. Et comme gamin, c’est quelque chose que je n’oublierai jamais de ma vie. Être dans la salle, supporter tes idoles, Sabonis… C’est comme ça que je suis tombé amoureux du Žalgiris», se rappelle Jasikevičius. «Ce n’était pas qu’un match. Le Žalgiris qui gagnait contre le CSKA, c’était la Lituanie qui gagnait contre les Soviétiques. Nous ne pouvions pas les affronter avec des soldats, nous ne pouvions pas les attaquer politiquement, mais nous pouvions les battre dans la salle de sports de Kaunas. Et en disant ça, tout mon corps tremble, vibre», commente, ému, Donatas Urbonas. «C’était à ce point important. Et d’une certaine manière, c’était beau.»

Arvydas Sabonis face à Vladimir Tkatchenko. Symbole des duels entre le Žalgiris Kaunas et le CSKA Moscou à la fin des années 1980.

Une merveille d’arena
Outre le triplé, Sabonis mena le Žalgiris à la finale de la Saporta 1985 et de l’Euroleague 1986 (défaite 94-82, face au Cibona Zagreb de Dražen Petrović). Le premier titre européen arriva en 1998, la Saporta (avec 35 points de Saulius Štombergas), puis vint le sacre suprême : l’Euroleague 1999, 82-74 face au Kinder Bologne d’Antoine Rigaudeau (avec Tyus Edney et Jiří Zidek). Sabonis est revenu au bercail jouer sa dernière saison, en 2003-04, et est devenu président du club avant de laisser sa place en 2009 à l’homme d’affaires Vladimir Romanov. Celui-ci partit en 2013, laissant une lourde dette causée par la faillite de la banque dont il était actionnaire. «Au début, Monsieur Romanov était vu comme le sauveur du club. Le Žalgiris a ramené les titres nationaux à la maison, le club a commencé à être compétitif en Euroleague. Mais ça n’a duré que quelques saisons, et soudain, une dégringolade. Le club a dû resserrer son budget pour rester en vie», raconte Rytis Kazlauskas. «Le GM Paulius Motiejūnas a fait un super boulot, a convaincu l’Euroleague que le Žalgiris valait la peine de lui donner une licence A (présence assurée en Euroleague). Aujourd’hui, le club est en bonne santé financière.»


L’atout structurel majeur est la salle : la Zalgirio Arena, la plus grande enceinte des pays baltes avec ses 15 500 places, inaugurée en 2011. Elle permet au club d’afficher la meilleure affluence en Euroleague  cette saison (13 560 spectateurs de moyenne). Surtout, le Žalgiris n’est pas que le club résident, il est également le manager de l’Arena, et à ce titre a la charge de sa gestion et récupère des bénéfices de tous les événements organisés. En quelques jours, cette salle ultra moderne peut se transformer en un terrain de basket, handball, hockey, accueillir un concert ou un séminaire. «Nous avons des installations exceptionnelles, au niveau de la NBA. C’est l’une des meilleures arenas au monde», témoigne Jasikevičius, qui dans sa carrière a parcouru l’Europe et la NBA.
La saison passée, le Žalgiris a glâné un septième titre national consécutif. Il a quitté en 2012 la Ligue baltique et en 2013 la VTB League afin de se consacrer au championnat et à l’Euroleague. Dans la compétition européenne phare, le club s’est qualifié pour les sept dernières éditions du Top 16, avant de rallier le Final Four pour la première fois depuis 1999. «Le Žalgiris a l’un des plus petits budgets de l’Euroleague», rappelle Kazlauksas. Avec 8,5 M€ cette saison, et 5,5 M€ de masse salariale, il est l’avant-dernier de la compétition, devançant juste l’Étoile Rouge de Belgrade. En comparaison, l’ASVEL annonçait en début de saison un budget de 8,3 M€ et une masse salariale de 2,7 M€.

Jasikevičius, leader maximo 
La star de l’équipe ne porte pas le short mais le costume : Šarūnas Jasikevičius. Après avoir été assistant pendant un an et demi, il a remplacé au pied levé Gintaras Krapikas comme entraîneur du Žalgiris en janvier 2016, à 39 ans. «Je n’avais jamais pensé être coach avant, c’est venu seulement il y a deux ans», confie-t-il. Lorsqu’on lui demande s’il doit plus travailler comme coach que joueur, sa réponse fuse : «Oui ! Coach, tu ne peux pas compter tes heures, tu dois regarder beaucoup de vidéos, analyser les matches, déterminer ce qui fonctionne ou non pour ton équipe. Alors que quand tu es joueur, tu n’as qu’à venir à la salle et à repartir. Le travail d’un coach ne s’arrête jamais. C’est un travail difficile. Mais au final, à 40 ans, je ne sais pas quel meilleur job je pourrais avoir ? Je suis toujours dans le basket, en Euroleague, entouré des meilleurs joueurs et coaches.» Hier superstar comme meneur, il a dû se muer en débutant comme entraîneur. «La chose la plus importante à faire est d’arrêter de se voir comme joueur et de penser comme un coach, vingt-quatre heures par jour. J’ai beaucoup à apprendre.» Dans ce processus, il se sert de ses années à écouter les meilleurs techniciens. «Je ne sais pas s’il y a un joueur actuel qui a travaillé avec autant de coaches différents. Obradović, Pascual, Gershon, Pešić… J’ai travaillé avec les meilleurs. C’est mon énorme atout. J’ai vu comment ils travaillent. Au quotidien j’applique beaucoup de leurs idées.»

Le style Šaras
Parmi les principes empruntés à ses anciens entraîneurs, l’idée de jouer avec trois arrières, comme lorsqu’il formait un formidable trio avec Vassilis Spanoúlis et Dimítris Diamantídis au Panathinaïkós. « Le seul problème est que je n’ai ni Spanoúlis ni Diamantídis dans mon équipe !», rit-il. «En fait, ce qui compte, ce n’est pas qu’il y ait un nombre précis d’arrières ou d’intérieurs, c’est que les joueurs puissent créer du jeu et que chacun puisse rendre ses coéquipiers meilleurs ». Jasikevičius a aussi articulé son équipe autour des joueurs locaux. « Je pense que c’est la chose la plus importante. C’est l’équipe de la ville, Et la ville nous aide beaucoup au niveau économique. Pour les fans, c’est aussi important que le club sorte des jeunes joueurs. C’est l’une des signatures du Žalgiris. Si on pouvait, on jouerait avec douze Lituaniens ». Contrairement aux clubs français, la culture du club et de l’effectif est très européenne, « Les Américains doivent comprendre où ils sont, comprendre le jeu européen, et ma priorité était d’avoir des joueurs expérimentés en Europe, si possible en Euroleague. La clé, c’est d’avoir les joueurs les plus travailleurs et les plus intelligents, parce qu’ils rendent cet ajustement plus rapide. On essaie d’avoir des bons gars, qui peuvent s’inscrire dans notre système», dit le coach.

Paulius Jankūnas et Kevin Pangos

La touche apportée par l’ancien meneur se voit déjà. «Avant, nous manquions cruellement d’une mentalité de vainqueurs. Au Top 16, c’était terrible. Šaras éveille la mentalité de vainqueur dans chaque joueur. Maintenant, ils croient en eux. Ils suivent Šaras, lui font complètement confiance, et il leur enseigne comment être un leader», témoigne Donatas Urbonas, qui ajoute que l’entraîneur partira probablement à l’intersaison vers un club plus ambitieux. La perte pour le Žalgiris serait colossale, mais elle n’arrêterait pas le club de faire vibrer les cœurs. «Paulius Jankūnas (l’actuel capitaine) m’a dit qu’il est impossible de ne pas se donner à 100% sinon quand tu vas dans un magasin, tu ne pourras pas regarder les gens dans les yeux», raconte Urbonas. «Les gens sont si fiers de l’équipe, des joueurs, que ceux-ci ne peuvent pas les laisser tomber. Pour les deux parties, c’est plus qu’un jeu.» C’est la fierté de la capitale du basket.

Article extrait du numéro 5 de Basket Le Mag  (février 2017)