Alexey Shved (1,98 m, 29 ans) est au sommet de son art. Meilleur marqueur de l’EuroBasket, top-scoreur de l’Euroleague avec le Khimki Moscou, le Russe semble aussi brûlant sur les parquets que froid en dehors. Portrait d’un attaquant d’exception.

 

Par Yann CASSEVILLE

 

10 000 dollars pour réussir un tir ? Alléchante offre. Redoutable, aussi, quand l’adversaire se nomme Alexey Shved. Le Français Nobel Boungou-colo fut le coéquipier du Russe la saison passée au Khimki Moscou. “J’aimais bien taquiner tous les joueurs : allez, viens, on fait un concours. J’ai réussi à battre tout le monde”, raconte-t-il, ajoutant : “Tout le monde, sauf Shved. Je n’ai jamais réussi à le battre. Une fois, on est monté à 18 ou 19 trois-points réussis d’affilée, mais j’ai fini par craquer. Après, il en avait marre de jouer contre moi donc il disait : si tu veux, on parie 10 000 $. Je répondais : non, non, c’est bon… J’ai arrêté de faire des concours contre lui.” (Il rit)
Aujourd’hui, Shved domine le classement des marqueurs en VTB League (24,5 points) et en Euroleague (premier ex aequo avec Luka Dončić, 20,9 points), où il ajoute aussi 2,9 rebonds, 4,5 passes et 6,3 fautes provoquées pour 19,8 d’évaluation, la troisième moyenne. S’il a du déchet (premier aux balles perdues, trois par match), c’est qu’il possède carte blanche en attaque. Et s’il a cette carte, c’est qu’il la mérite. Balle en main, l’arrière longiligne (1,98 m et 85 kilos) enchaîne tirs lointains et pénétrations. Tout y passe. Cette saison, en Euroleague comme en VTB, il n’est pas descendu sous la barre des 16 points.

Irrésistible à l’Euro

“Chaque adversaire a des problèmes pour défendre sur lui. Et il n’a que 28 ans, à cet âge il peut progresser encore et je pense qu’il va devenir meilleur. Il est sans aucun doute l’un des joueurs les plus talentueux en Europe”, nous dit Pavel Astakhov, le manageur général du Khimki Moscou. “Il le prouve actuellement en club et l’a déjà prouvé durant l’EuroBasket.” En septembre, Shved, tout flingue dehors, a mené la Russie à la quatrième place de l’Euro. Il a terminé meilleur marqueur (24,3 points à 42% et 5,9 passes) et dans le cinq idéal de la compétition, après avoir humilité la Croatie en huitième (27 points et 12 passes), dynamité la Grèce en quart (26 points), été héroïque dans la défaite en demi contre la Serbie (33 points), fini son tournoi par son plus petit total : 18 unités contre l’Espagne, insuffisant pour récolter le bronze. “Dans l’histoire, la Russie n’avait pas eu d’arrière aussi fort que Shved. C’est le meilleur tournoi pour lui et pour un arrière russe”, nous assurait durant la compétition Alexander Fedotov, journaliste au quotidien russe Moskovski Komsomolets.
Et s’il était le meilleur attaquant œuvrant actuellement sur le continent ? La réponse ne fait aucun doute pour Nobel Boungou-colo. “Je le mets numéro 1 en Europe. Pas parce que je le connais, mais pour ce que j’ai vu. Il y a plein de gars, c’est grâce à leur équipe, à d’autres choses. Lui, c’est juste lui. Parfois, c’est comme s’il jouait à un-contre-cinq. Il est facile, comme s’il était contre des potes, et il est impossible à arrêter. Il pue le basket !” Le Français s’est essoufflé une saison durant à lui coller aux basques à l’entraînement. “Quand il défendait sur moi, comme ce n’est pas un grand défenseur, je marquais et je le chambrais. L’action d’après, je savais qu’il allait attaquer donc je défendais comme un fou, mais il trouvait toujours le moyen de marquer. J’ai essayé de défendre contre lui des millions de fois mais il arrivait toujours à me mettre un panier sur la tête.”

Il ne doute jamais

Quand il repense à Shved, la première image qui vient à l’esprit de Boungou-colo est celle d’un “mec sûr de lui, qui n’a jamais peur”. Qu’il rate un, deux, dix tirs ? Il n’hésitera pas à prendre le onzième. Une énorme confiance, née de ses années passées à répéter ses mouvements offensifs. Avant même de savoir marcher, Shved a été bercé par le bruit du ballon sur le parquet ; sa mère, ses sœurs ont pratiqué le basket, son père l’a coaché. Deux entraînements par jour, dès sa jeunesse, et rarement de félicitations de l’exigeant paternel.
Shved, le petit gars de Belgorod, à l’Ouest de la Russie, intègre le prestigieux CSKA à 16 ans. “Sa sœur jouait en sélection nationale, elle me connaissait et savait que j’entraînais les juniors du CSKA, donc elle l’a emmené pour faire un essai”, nous a raconté Sergueï Bazarevitch, le sélectionneur de la Russie, durant l’Euro. “J’ai immédiatement dit à mes dirigeants : si vous pouvez signer ce gars, faites-le ! C’est un talent pur et ça se voyait déjà à 16 ans.”
Il remporte l’Euroleague 2008, à 19 ans, sans jouer du Final Four, entre temps est prêté au Khimki puis au Dynamo. 2011, tout s’accélère. Un Euro pour se révéler (8,5 points et le bronze), une campagne d’Euroleague remarquée (10,6 points en 22 minutes, défaite en finale face à l’Olympiakós), des JO 2012 remarquables (une pointe à 25 contre l’Argentine pour remporter le bronze).
La NBA lui ouvre ses portes. Si elle ne l’a pas drafté, elle l’a toujours fait rêver. Le scoreur invétéré a un modèle : Allen Iverson. “Il n’a jamais gagné de bague de champion mais il pouvait battre une équipe entière à lui seul”, dit-il. À l’été 2012, le Russe rejoint Minnesota, où il retrouve Andreï Kirilenko, et livre une prometteuse saison rookie. Il atteint la barre des 10 points dès le troisième match, celle des 20 dès le neuvième, finit avec des moyennes de 8,6 points et 3,7 passes en 24 minutes.

En NBA, il marquait aussi

“Pour faire une bonne carrière en NBA, il ne suffit pas d’être un bon joueur, c’est important de trouver la bonne équipe”, intervient le journaliste Alexander Fedotov. “Prenez Kirilenko. S’il a réalisé une immense carrière NBA, c’est aussi parce qu’il était dans un système, le Jazz, avec John Stockton, Karl Malone, où il se sentait bien.” Shved n’aura pas cette chance. Il va prendre de plein fouet à la réalité de la NBA : le business. Le scoreur Kevin Martin débarquant à Minnesota, son temps de jeu tombe de 24 à 11 minutes. À l’été 2014, le voici envoyé à Philadelphie. En décembre, à Houston. En février, à New York. Trois transferts et quatre équipes en moins d’un an.
Si bien qu’à l’été 2015, quand les Knicks, au regard du très bon passage de l’arrière dans la franchise (14,8 points en 26 minutes), lui font une offre, Shved décline. Il rentre au pays, paraphe avec le Khimki un contrat estimé à 10,2 M$ sur trois ans (net d’impôt), lui qui vient d’amasser 9,4 M$ (avant environ 45% d’imposition) en trois années de NBA. Il gagne la réputation de joueur le mieux payé d’Europe. “Dans la plupart des cas, les chiffres n’ont rien à voir avec la réalité. Et il n’est pas le joueur le plus payé en Europe, ce n’est pas vrai”, conteste Pavel Astakhov, le GM du Khimki, où Shved a rempilé l’été dernier jusqu’en 2020. “Pour son nouveau contrat, ça a été facile, on s’est rapidement mis autour de la table des négociations, il a évalué notre offre et les perspectives du club. Pour Alexey, l’argent n’est pas la chose la plus importante. Tout le monde voit le plaisir qu’il prend. Ici, il a trouvé son équilibre, son équipe.”
En NBA, une fois Kirilenko parti de Minnesota, Shved avait perdu son guide, ne maîtrisait pas parfaitement la langue, ne se sentait pas totalement à l’aise. Au Khimki, l’équipe est construite autour de lui. Pas de quoi bénéficier de passe-droits quotidiens pour autant. “Quand il avait un petit bobo, il pouvait ne pas s’entraîner, mais il n’avait pas vraiment plus de liberté que les autres. Eh, c’est Duško Ivanović le coach !”, rappelle en souriant Boungou-colo.

Un taiseux

Meilleur marqueur de l’Eurocup et MVP de la VTB League en 2017, Shved s’est démené lors des derniers playoffs pour hisser le Khimki jusqu’en finale, qui, perdue face au CSKA, fut synonyme de retour en Euroleague. Il a ainsi ramené son club au plus haut niveau, comme cet été il a redonné toute sa fierté à la Russie, éliminée honteusement au premier tour des Euro 2013 et 2015.
Le tout sans se départir de son air indolent, quasi absent. Le paradoxe Shved : des actions aussi géniales qu’osées accompagnées d’un visage fermé. Comme si rien ne le touchait. Qu’il tirait la tronche. Un jour de match en NBA, Ricky Rubio, son coéquipier d’alors, vint lui taper sur la tête en lui glissant quelques mots : “Alexey, change ce visage. Sois heureux. Profite !” Boungou-colo décrit un garçon “souvent dans son coin, un peu en retrait. Mais il n’est pas totalement fermé, il arrive à partager des moments avec tout le monde”, nuance le Français. “Peut-être qu’il ne parle pas beaucoup dans le vestiaire, mais quand il le fait, tout le monde l’écoute, parce que les autres savent son talent et son professionnalisme. C’est un leader”, enchaîne Pavel Astakhov. Shved cultive sa discrétion également en dehors des parquets. Il a supprimé son compte sur les réseaux sociaux Vkontakte et Facebook, utilise rarement Twitter, rechigne à parler de lui, même au sujet de ses performances sportives. “Il y a tant d’experts qui le font déjà tout le temps !”, aime-t-il à répondre.
Femme, famille, proches, un cercle privé, qui le soutient autant qu’il l’aide à garder les pieds sur terre. “Sa mère, son père, sa sœur, tous ont réussi de bonnes choses. S’il essaie seulement de penser oh, je suis une star, ils vont vite le calmer : non, tu n’es qu’un homme. Sa sœur, Evgeniya Nikonova, a joué pour la sélection nationale et a gagné des médailles internationales (argent au Mondial 1998 et à l’Euro 2001, bronze aux Euro 1995 et 1999)”, rappelle Alexander Fedotov. Ainsi donc le taiseux Shved s’exprime à sa manière : c’est le bruit du filet qui parle pour lui.

Article extrait du numéro 15 de Basket Le Mag