En Allemagne, son pays, il a été adoré mais aussi hué, stigmatisé. C’est en France, à Nanterre, qu’Heiko Schaffartzik (1,83 m, 34 ans) semble avoir trouvé sa place. Ce shooteur d’exception est une vraie personnalité forte et attachante de la Pro A.

Par Yann CASSEVILLE, à Nanterre

Visiblement, Heiko Schaffartzik n’a pas envie de sourire aujourd’hui. Pire, il fait la gueule. En cette matinée de février, au Palais des Sports de Nanterre, se tient notre séance photo avec l’Allemand. Jusqu’alors, il jouait parfaitement le jeu, selon les demandes du photographe. «Tu peux te mettre ici ?» Il s’exécute. «Dribble.» Il le fait. «Le regard droit devant.» OK. «Maintenant viens t’asseoir devant moi. Tu me regardes très sérieusement, et petit à petit en souriant. On commence : sérieux.» Jusqu’ici tout va bien. «Maintenant souriant.» Rien ne se passe. Le photographe le relance. Le visage de Schaffartzik reste fermé. Quelques minutes après, il demande : «Excuse-moi, ça veut dire quoi oriant ?» Il n’avait tout simplement pas compris le mot «souriant». Une fois le quiproquo levé, il reprend place devant l’objectif, la banane sur le visage.

 

L’anecdote ne vaut pas moquerie, au contraire : l’Allemand comprend et s’exprime dans un très bon français. Il l’a étudié à l’école durant quatre ans – vous souvenez-vous de vos cours de langues étrangères au collège/lycée ? Dès son arrivée en France, à Limoges à l’automne 2015, il s’est efforcé de le pratiquer de nouveau. En novembre 2015, il annonce sa prolongation pour la saison au CSP dans un français hésitant. «Français 1, Schaffartzik 0», écrit-il en légende de sa vidéo de quelques secondes sur son compte Instagram. Quatre mois plus tard, il publie une photo depuis le studio de France Bleu Limousin avec ce commentaire : «45 minutes d’interview en français. Dans ta gueule ! Français 1, Schaffartzik 1.»

Épicurien et drôle

Passé de Limoges à Nanterre à l’été 2016, la Pro A l’a adopté. Et lui adore la France. Alors que nous évoquons la possibilité qu’il finisse sa carrière dans son pays, il livre cette confidence : «C’est marrant qu’on me pose cette question. Dimanche, j’ai fait une promenade avec ma copine et j’ai parlé de ça. Je lui ai dit : je n’ai pas vraiment envie de revenir. La mentalité française me correspond beaucoup mieux. Je suis plus heureux ici qu’en Allemagne. L’une des raisons, c’est que les gens sont différents.» Pour Schaffartzik l’épicurien, les Français savent mieux profiter des plaisirs de la vie quand les Allemands font toujours du travail la priorité absolue.

«L’année dernière, on avait prévu d’aller ensemble à la fête de la musique. Lui est parti un peu avant.  Quand je l’ai retrouvé, il était en claquettes, en train de profiter des berges, de s’arrêter tous les dix mètres pour écouter les différents groupes», raconte son coéquipier et compère de sorties, Hugo Invernizzi. «Quand des amis viennent chez moi, après trois minutes ils sont déjà en train de discuter avec lui, et lui a ramené sa guitare et se met à jouer. C’est vraiment quelqu’un d’intéressant et d’ouvert d’esprit. Le fait qu’il parle très bien français après deux ans et demi le prouve. J’ai joué avec des Américains qui sont là depuis dix ans et ne parlent pas le quart de ce qu’il connaît.» Invernizzi insiste sur un mot : curiosité. «Le basket, on en parle peu, on a d’autres centres d’intérêt. On parle beaucoup de politique, notamment la politique internationale avec Donald Trump.» Dans ses loisirs, Schaffartzik se traduit par éclectique : question cinéma, il aime autant les grands films de Martin Scorcese que les comédies déjantées de Will Ferrell ; musicalement, ses goûts vont des Rolling Stones au classique en passant par le rap. À son compteur, une participation à un concours de slam-poésie à Berlin avec un texte de sa composition.

Son franc-parler et son intelligence fine font de lui un client privilégié des médias. «Il ne cherche pas à être poli, il préfère être authentique», témoigne Robert Jerzy, du mensuel allemand Big. «Dans une compétition internationale pendant les beaux jours de Dirk Nowitzki, il lui a été demandé pour la énième fois à quel point Dirk était génial, alors il a répondu : en réalité, Dirk est un vrai trou du cul, personne dans l’équipe ne l’apprécie.» Du Schaffartzik pur jus. Une personnalité forte. À tel point qu’elle fut parfois incomprise en Allemagne.

La leucémie, premier adversaire

Il était à San Diego, où sa famille a vécu deux ans et demi pour suivre le travail du père, médecin, quand le mur de Berlin est tombé. C’est quand même dans la capitale allemande qu’il a grandi, qu’il est né, le 3 janvier 1984. À Berlin-Ouest. «La première fois que j’ai eu un contact avec des gens de l’Est, c’était pour un match de basket avec des équipes de jeunes. C’était comme un autre monde. L’architecture, les bâtiments, l’état d’esprit, c’était complètement différent, jusque dans les tenues des joueurs, leur façon de crier pendant le match. Berlin-Est était moche, en ruines, après la chute du mur, mais aujourd’hui je dirais que 80% des choses intéressantes de Berlin se passent à l’Est : l’O2 Arena, les cafés, les restaurants…»

Son premier combat fut face à la maladie. À 13 ans, une leucémie. Un an à faire l’aller-retour entre la maison et l’hôpital, avec sa mère, professeur d’histoire-géographie, pour lui donner des cours à domicile. «La thérapie a duré un an. Elle a commencé le 8 août et s’est terminée le 8 août. Le 08/08», insiste-t-il. «C’est pour ça que je porte ce numéro aujourd’hui.» Ce gamin qui avait le basket pour passion en fait sa respiration. «De temps en temps, j’allais à l’entraînement, sans cheveu, avec un cathéter. Je ne pouvais pas faire grand-chose mais je courais un peu. Une fois, les médecins ont baissé la dose de chimio pour que je puisse aller à un tournoi à Vilnius. Ça m’a aidé, pour savoir que la vie continue.» À 16 ans, c’est la fièvre de Pfeiffer qui l’affaiblit. «C’était vraiment difficile de jouer, je n’avais aucune énergie.» ….

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 17

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