Antoine Eïto ne laisse pas indifférent. Ça tombe bien, il déteste l’indifférence. Dans un milieu souvent considéré trop lisse, dans une période qui voit la communication s’escrimer à étouffer la sincérité, le meneur continue de dire ce qu’il pense. La saison en enfer avec Orléans, son retour au Mans, sa personnalité : entretien sans filtre.
Propos recueillis par Yann CASSEVILLE
Au MSB, vous sentez-vous comme à la maison ?
À 100%. C’est un équilibre de vie, j’ai ici beaucoup d’amis, on a pris une maison, je mets quatre minutes pour aller à la salle. Et il y a la structure du club, des gens avec qui j’ai développé des relations fortes. Mon départ il y a deux ans était un choix personnel, j’avais besoin de me prouver que je pouvais avoir mon équipe, ce qui a été fait. Le retour a été très vite acté.
Avez-vous retrouvé un club meurtri par sa dernière saison ratée ?
Je suis allé à la soirée des abonnés, on sentait qu’ils reprochent pas mal de choses au club, sur la communication, la saison passée. Mais il ne faut pas oublier que Le Mans a joué les playoffs vingt fois d’affilée. Louper une fois, ça arrive, et ils n’ont pas fini 16e non plus. Avec Erman (Kunter), ça arrivait au bout humainement, il y avait un besoin de passer à autre chose. J’ai senti une impatience des abonnés de découvrir les nouveaux joueurs.
Vous avez été recruté avant l’entraîneur, Éric Bartécheky. N’est-ce pas bizarre ?
Je n’aurais jamais signé sans savoir le coach dans n’importe quel autre club. Le seul club pour lequel je pouvais faire ça, c’est le MSB. Parce que l’entité MSB est plus importante que n’importe quelle individualité. Et je savais que Le Mans n’allait pas ramener Jean-Louis Borg ou Philippe Hervé – des gens qui ne me correspondent pas du tout humainement – car des gens comme ça ne peuvent pas travailler ici. Au début, c’était Alex Ménard, ensuite on a entendu parler de Fauthoux, et puis Bartécheky est arrivé. On a discuté ensemble, je serai très responsabilisé, je ne suis pas inquiet.
Il y a quelques mois, vous avez pensé arrêter le basket ?
J’ai vraiment failli dire stop début janvier. J’en avais ras le cul, à Orléans c’était vraiment n’importe quoi. Les gens se tirent dans les pattes, se mentent, se manipulent, sont de mauvaises personnes, pensent à leur intérêt personnel… Je me suis dit : au bout d’un moment, je vais me battre avec quelqu’un. (…) Je ne sais pas dans quoi j’aurais fait ma reconversion mais j’aurais fait quelque chose. Si ma carrière s’arrête demain, oui, ça va être dur parce qu’on gagne correctement notre vie, on a des avantages, du temps libre, mais je suis capable d’aller travailler pendant cinq mois au McDo’ pour faire vivre ma famille. Parce que je suis petit-fils de paysan et que mon grand-père m’a toujours appris à bosser pour ce que tu veux, mon père aussi.
Qu’est-ce qui vous a fait finalement continuer ?
J’ai beaucoup parlé avec mon père, qui m’a dit : «Antoine, le basket, c’est quand même quelque chose que tu aimes». Et c’est vrai ! Quand je suis allé à l’ASVEL à 17 ans, je ne pensais même pas être pro. J’ai gardé les mêmes valeurs depuis. À Orléans ce n’était plus possible. Moi, je ne joue pas un rôle, sauf qu’Antoine Eïto, il ne rentre pas dans le moule, de la fédé, de certains coaches, du basket français, où tu fermes ta bouche. J’aurais certainement gagné beaucoup plus d’argent à ne pas dire ce que je pensais, à ne pas agir de la manière dont je voulais. Mais je m’en tape, parce que sinon je me serais menti à moi-même. Le Mans avait besoin de gens comme ça, vrais.
Avec Orléans, vous avez vécu une troisième relégation après deux à Vichy. Est-ce comparable ?
Vichy, c’était différent. La saison où on descend en Pro B, ils virent Kareem Reid, je prends la mène et on gagne neuf des quinze derniers matches, avec Jamal Shuler, Demetris Nichols… On ne se maintient pas à la dernière journée. Mais je veux rester et remonter avec ce club, je resigne trois ans. Le début de saison se passe mal, le président vire le coach et signe Laurent Sciarra. Je ne fais pas une mauvaise saison mais on descend encore. Je me sens responsable, j’ai les boules. Là, cette descente d’Orléans est différente parce qu’elle a été provoquée par des dirigeants, le prépa physique, le coach espoir, tous ces gens. Ils se sont mis le doigt dans l’œil. Ils ont fait une chasse à l’homme, ils ont tiré sur Pierre Vincent. Peu importe ce qu’il a fait, ne pas être d’accord avec eux, les prendre pour des guignols, en tout cas il avait le soutien des joueurs. La première année, on a gagné des matches et ça a fait chier des gens. La deuxième saison, dans la même semaine, je me pète, Abdel Sylla se casse la main et Kyle McAlarney déclenche sa pubalgie. Après, Marcellus Sommerville se pète le mollet. Et ils décident de couper le coach après le match contre Monaco où le meneur titulaire est son fils qui a 18 ans… Quand il s’est fait virer, tout le monde s’est mis à bosser. Avant, le préparateur physique ne bossait pas, là il s’est mis à bosser comme un taré. Les assistants, la même chose. C’était une saison où j’avais envie de dire : allez vous faire voir. Humainement, c’était sale. Un mec compétent comme Nicolas Raimbault est obligé de démissionner. Ils n’en voulaient pas, ils voulaient refaire la secte Philippe Hervé.
Et vous, au milieu de tout ça ?
Je payais ma relation correcte avec Pierre. Dommage collatéral. Ils m’ont fait chier pendant deux ans. La première année, j’ai tenu parce que j’étais sur le terrain, mais la deuxième… À la fin, je me suis forcé à revenir plus tôt de blessure, avec un coach (Thomas Drouot) qui ne m’avait pas choisi, qui pour moi est un très bon assistant mais pas un coach de pros. Il avait décidé de miser sur les joueurs arrivés depuis un mois, et moi je continuais à avoir un peu mal. J’ai mis le ola, j’ai dit que j’allais me soigner, ça a été pris pour un alibi. Mais quand on te tape dessus, on te crache dessus, on t’insulte, on vire le coach qui t’a fait venir, c’est humain : tu n’as pas envie de te péter et de redonner. J’ai soigné ma cheville et ça n’a pas plu. Depuis le club est descendu, le président, les dirigeants se sont fait virer, et le club a été repris par des gens compétents. Ils vont repartir sur une bonne base.
Individuellement, la première saison vous avez réussi votre pari : devenir un meneur titulaire.
Quand j’ai quitté Le Mans, c’était quelque chose de viscéral, dans mes tripes, la tête, je sentais que je devais prendre un risque. J’avais une proposition de cinq ans au Mans, j’ai refusé parce que Pierre Vincent m’a appelé. J’ai eu cette occasion, pas la meilleure financièrement, mais j’ai sauté dessus. J’avais l’objectif d’être l’un des meilleurs meneurs français, et il y avait encore Andrew Albicy, Léo Westermann, Rodrigue Beaubois… La première année, j’ai le regret de ne pas jouer les playoffs mais c’est une saison réussie individuellement, je suis All-Star. À l’intersaison, j’ai eu une proposition intéressante de Badalone, je n’ai pas donné suite parce que je voulais confirmer avec Orléans, rester fidèle à une structure. Badalone est revenu à la charge cet hiver. J’ai eu les boules parce que j’ai repris début février et ils m’ont recontacté début janvier, c’était trop juste. (…) Aujourd’hui, ce qui me fait rire, et avancer, c’est quand j’entendais partout qu’on cherchait un meneur au Mans, avant l’arrivée de Justin Cobbs. Je chambrais Vincent Loriot (directeur sportif) : «Mais vous l’avez le meneur !» Avec Justin et moi, Le Mans a deux premiers meneurs.
Le meneur français brille à l’étranger mais se fait rare en Pro A. Pourquoi ?
Je ne trouve pas que Jo Rousselle, Edouard Choquet, Axel Julien ou David Michineau soient des petits joueurs. Je me faisais souvent chambrer par Abdel Sylla qui me disait que Pierre Vincent m’avait donné les clefs. Oui, c’est vrai. Mais si j’avais été mauvais, il aurait pris un autre meneur pour m’aider. C’est toujours plus facile quand tu es mis en confiance par le coach. Moi, ça m’a libéré. Si ça se trouve, la saison prochaine Axel Julien sera l’un des meilleurs meneurs de Pro A. C’est une question de rôle. Si on donne cette chance aux Français, je suis persuadé que ça peut le faire. Après, il y a aussi les Français qui s’expatrient, le fait qu’un rookie américain sera moins cher qu’un Français de base. C’est un tout.
Vous qui avez commencé en N2 à Cognac, que vous inspire votre parcours ?
Jamais ce n’était prévu que je sois en Pro A. Vincent Masingue m’avait dit : «Tu ne seras jamais pro, tu es trop ci, trop ça, tu ouvres trop ta gueule, etc». Quand j’ai signé pro, il m’a félicité et dit : «Ce n’est que le début». J’ai connu des descentes, des titres, j’ai fait deux-trois trucs individuellement. Le seul truc qui me manque, c’est l’équipe de France. Vu les joueurs actuels, de niveau européen, Antoine Diot, Léo Westermann, Thomas Heurtel, Andrew Albicy, c’est compliqué. Je pourrais être sparring partner pour un stage. Ne jamais dire jamais. La semaine dernière, j’ai revu le match amical des Spurs contre l’ASVEL (2006). En mai, j’étais en N2, et en septembre j’étais à l’ASVEL, je jouais contre Tony Parker. Ça a été très vite. J’ai réussi tant bien que mal à construire ma carrière. J’étais un gringalet qui shootait à dix mètres, je suis devenu un défenseur acharné. Pour rien je ne changerais mon voyage. Avec de l’huile de coude, de la motivation, du cœur, on peut y arriver. Je suis passé en un mois d’une descente en N1 à une finale de Pro A avec Le Mans. On ne se rappellera peut-être pas de moi parce que j’ai gagné des titres avec l’équipe de France, par contre on dira : «Lui, il était casse-couilles, teigneux, il ne fermait jamais sa gueule.» Vincent Masingue disait : «Quand je rentre dans une salle, je me fais huer, je ne laisse pas indifférent». Ça me plaît.