La France est le seul pays européen majeur à n’avoir aucun entraîneur expatrié dans un fort championnat du continent. Quel est le souci ?

 

Par Yann CASSEVILLE

 

Zéro. Pas un. Personne. Aucun. Rien. Nulle trace d’un entraîneur français exerçant dans un championnat européen majeur en dehors de l’Hexagone. La comparaison avec les autres pays est sans appel. Cette saison, ont officié le Serbe Željko Obradović au Fenerbahçe Istanbul, l’Espagnol Xavi Pascual au Panathinaïkós, le Grec Dimitris Itoudis au CSKA Moscou, l’Italien Luca Banchi à Bamberg, les Croates Velimir Perasović à l’Anadolu Efes Istanbul et Neven Spahija au Maccabi Tel-Aviv, le Monténégrin Dejan Radonjić au Bayern Munich, le Canadien Gordon Herbert à Francfort, le Russe Sergueï Bazarevitch à Trabzonspor, le Slovène Sašo Filipovski à Banvit… Certaines nations (Serbie, Grèce, Croatie, Italie) comptent même plusieurs ambassadeurs sur le continent à haut niveau. Dans un monde internationalisé, les entraîneurs s’exportent. Pas les Français. Sauf à s’engager dans des championnats exotiques moins cotés (Jean-Denys Choulet au Liban, François Péronnet au Japon) ou chez les féminines (Laurent Buffard à Ekaterinbourg, Pierre Vincent à Schio), ils restent au pays.

En un demi-siècle, le basket français n’a envoyé que trois entraîneurs au haut niveau européen. Trois en cinquante ans ! Et chacune des expériences fut de courte durée. Robert Busnel a dirigé le Real Madrid en 1965-66. Michel Gomez a occupé le banc du PAOK Salonique de l’été 1996 à janvier 1997. Gregor Beugnot est arrivé à Varese en février 2002 et reparti en mars 2003. Quatorze ans plus tard, Beugnot reste le dernier des aventuriers.

«Varese m’avait ciblé, ils avaient suivi l’ASVEL et s’étonnaient qu’une équipe française fasse un tel parcours en Europe, ils s’étaient même déplacés plusieurs fois à l’Astroballe les saisons précédentes, ce que je ne savais pas. J’ai été en contact avec eux un lundi soir et le mercredi, j’étais à Varese avec mon assistant Bernard Sangouard», raconte Beugnot. L’aventure fut éprouvante, en raison d’un conflit latent avec le GM. «Il était jaloux, il a tout fait pour me savonner la planche, après il y a eu les tifosi contre moi et c’était ingérable : agression de mon fils à l’école, sous escorte policière pour aller aux matches… Le président voulait que je reste mais j’ai dit non.» Pour autant, il juge l’expérience enrichissante. «Dans tout. Le relationnel avec les coaches étrangers, développer un carnet d’adresses…»

 

Vincent Collet, l’exception

Aujourd’hui, les entraîneurs tricolores n’existent quasiment pas aux yeux des quarante meilleurs clubs du continent. «Ils ne sont pas sous les projecteurs, donc je n’ai pas beaucoup d’informations à leur sujet, pour être honnête», nous confirme Natalia Furaeva, la vice-présidente du CSKA Moscou. Seul un nom sort de l’anonymat : Vincent Collet. En 2014, sous contrat avec Strasbourg, il a repoussé une proposition de l’Olympiakós. L’été dernier, plusieurs clubs seraient revenus à la charge, notamment un d’Euroleague. Les médailles gagnées en équipe de France et le parcours de la SIG, finaliste de l’Eurocup 2016, ont attiré les regards. Lorsque l’on demande à Šarūnas Jasikevičius, l’ancien meneur star devenu coach du Žalgiris Kaunas, quel entraîneur français il connaît, il répond Collet. «Il fait un super travail, il a toujours de bonnes idées, c’est intéressant de voir jouer ses équipes.» Pour autant, les cinq finales de Pro A perdues par la SIG pourraient écorner la cote de Collet, à en croire les conditions dressées par Natalia Furaeva pour s’expatrier : «réussir au niveau national et au niveau international, et avoir une réputation de winner. L’autre facteur, c’est qu’il faut avoir le désir de travailler à l’étranger.»

Il y a quelques années, Claude Bergeaud a refusé une opportunité en Espagne. «Pour différentes raisons, et la première, c’est que je me suis dégonflé, je n’avais pas assez confiance en moi», explique-t-il aujourd’hui. Cet été, il a reçu une offre venant de Ligue Adriatique, mais par manque de garantie financière a préféré prolonger à Boulazac. Est-ce que d’autres Français pourraient entraîner à l’étranger ? «Oui. Mais est-ce qu’ils auront les contacts ? Non. Si on parle de gros championnats, ils n’auront aucune demande ni aucun contact», assure Beugnot, catégorique. Le dossier dépasse le cadre des coaches : «C’est lié à l’état du basket français».

 

Invisible sans Euroleague

Dans le conflit des coupes d’Europe, se plaçant derrière la FIBA, la France était la saison passée le seul pays de poids non représenté ni en Euroleague ni en Eurocup, les deux coupes continentales phares. «Quand tu fais de la compétition, tu ne peux pas te soustraire au juge de paix, c’est-à-dire la plus haute compétition. Ça envoie un message à tous les autres : on n’est pas intéressé par la victoire», regrette Alain Weisz, néo-retraité du coaching mais vice-président du syndicat des coaches. «Nanterre, Strasbourg ont été respectés quand ils ont fait l’Euroleague. Par contre, si on ne va pas dans la compétition, là, il n’y a plus de respect.» Cette analyse se confirme à travers les propos des dirigeants et coaches étrangers consultés. «On dirait que les clubs français ne tentent même pas de faire un pas en avant dans le basket européen, qu’ils se limitent à jouer la ligue domestique et à envoyer des joueurs à l’étranger», dit Natalia Furaeva. «Maintenant, nous sommes extérieurs au basket français, nous ne voyons pas de match comme nous ne devons pas les affronter en Euroleague ou Eurocup», complète Jasikevičius.

Ginas Rutkauskas, ancien GM devenu vice-président du Žalgiris, a constaté l’effacement du basket tricolore sur le front européen. «Pau-Orthez a joué pendant vingt-cinq ans en Europe, ils avaient de très bons résultats, avec le président Pierre Seillant, Gérard Bouscarel. C’était un exemple, je venais voir comment ils pouvaient évoluer à si haut niveau dans une petite ville. L’ASVEL avait Delaney Rudd, Limoges avait gagné en 1993. Ils étaient importants en Europe. Maintenant, on dirait que les clubs jouent seulement entre eux. Peut-être que la qualité des coaches est tout à fait correcte, mais si vous jouez seulement dans votre pays ou dans les compétitions FIBA, nous ne voyons pas les équipes. Parfois, il y a 200 pays qui regardent l’Euroleague. Là, vous pouvez promouvoir vos coaches. Si on ne les voit pas, comment faire ?»

 

Un jeu trop atypique

En dehors de l’absence en Euroleague, la deuxième explication majeure évoquée est le jeu atypique de la Pro A, résumé ainsi par Rutkauskas : «Un basket très athlétique, des équipes très rapides, avec beaucoup d’Américains». Cette réputation vérifiée colle à la peau du basket français, et se trouvant à l’opposé des critères privilégiés en Euroleague n’incite pas les clubs étrangers à s’intéresser aux entraîneurs de Pro A. «Après Pau, ma priorité était l’étranger. Rien ne se passe dans l’été, je rencontre Vincent Collet, qui me dit qu’il n’a rien non plus», raconte Bergeaud. «Grâce à l’équipe nationale, j’ai noué de bons rapports avec des coaches étrangers. Je leur ai demandé pourquoi il n’y avait pas d’offre. Les gars, dites-moi la vérité, on n’est pas bon ? On sent mauvais ? Il se sont livré. La vision qu’ils ont de notre championnat, c’est : peu stratégique, développant peu les fondamentaux individuels, et donc que les coaches ont uniquement une image de gestion du côté athlétique.»

Sous couvert d’anonymat, le dirigeant d’un club d’Euroleague confirme cette vision : «On dirait que votre formation a comme premier objectif d’emmener vos jeunes en NBA. Ils essaient de jouer comme en NBA. Mais en Europe, vous avez besoin d’un autre jeu. Regardez le Fenerbahçe ou le Real Madrid, champion, leur discipline, leur défense, ils prennent le temps de préparer leurs attaques. Ce n’est pas le basket français, où ça court, ça saute. Si vous n’avez que des joueurs comme ça, que peuvent faire vos coaches ? Peut-être qu’ils peuvent jouer un autre style, mais je ne sais pas.» Natalia Furaeva nuance le constat avec une touche d’optimisme : «L’INSEP a gagné l’Euroleague junior la saison dernière, ça annonce un bel avenir pour le basket français. Et vous avez des joueurs avec de hauts QI basket comme De Colo, Westermann, Heurtel, Diaw, Parker… La question est pourquoi partent-ils, et cela nous mène au sujet des budgets.»

 

Quid de la formation ?

Par ailleurs, et si, tout simplement, les entraîneurs français étaient moins bons ? «Je réponds par une autre question : qui est meilleur, Steven Spielberg ou Claude Lelouch ? Ils ne font pas la même chose, n’ont pas le même casting, la même ambition, mais sont en compétition à Cannes», compare Alain Weisz. Il note tout de même plusieurs points faibles spécifiques aux Français. «Les coaches étrangers donnent l’impression de jouer leur vie, pas nous. Les étrangers jouent leur tête, alors que les Français, pendant longtemps, ont eu le sentiment de ne pas la jouer. La rigueur de jeu et l’implication en match sont différentes entre Français et étrangers.» Weisz prend en exemple le Slovène Jurij Zdovc, capable de coups de sang. «Cette folie n’est pas admise en France.» Les multiples fautes techniques récoltées en Pro A par le… Monténégrin Zvezdan Mitrović à Monaco – élu entraîneur de l’année – semblent en attester !

L’une des carences principales de l’entraîneur français est que son métier n’a pas évolué. «Les clubs ne se sont pas développés. Au niveau du fonctionnement, du sportif, c’est la même chose qu’à mes débuts», témoigne Weisz. Alors qu’en Europe, la construction de l’équipe revient en partie au directeur sportif, un poste-clé, la fonction n’existe quasiment pas en Pro A, où toutes les responsabilités incombent au coach. Et alors que les grands clubs présentent une batterie d’assistants, les équipes de Pro A se contentent souvent d’un.

Plus globalement encore, se pose la question de la formation. «Pratiquement dans tous les pays, il y a une formation de coaches qui est très relevée, et qui n’existe pas ici. Nous, on ne prépare pas les coaches, on prépare un examen. Après, c’est à toi, coach, de te construire. Et on dit : je me forme dans les matches. Non, ce n’est pas suffisant. Tu ne peux pas accepter que des coaches comme Mourinho, Jardim (football), repartent chaque année faire un stage à l’université pour progresser et que toi, coach lambda, tu partes en vacances», estime Weisz. «Aujourd’hui, beaucoup de coaches n’utilisent pas le numérique, ou un minimum. Laurent Labit (rugby) m’a expliqué comment son équipe s’entraînait avec un drone qui filmait les déplacements des joueurs. Il y a des tas de choses à essayer, qui se passent en NBA. Malgré les possibilités techniques que nous avons, on coache comme au Moyen-Âge !»

 

Des coaches étrangers en Pro A

Constatant l’urgence du dossier, le syndicat des coaches, présidé par José Ruiz, a tenu les 23 et 24 aôut dernier en Île-de-France les premières assises du coaching. Sont invités l’entraîneur, son assistant et le responsable du centre de formation de chaque club. Les ateliers seront animés par des personnes habituées à choisir des entraîneurs mais ne venant pas du basket. «On veut qu’il y ait du répondant et que la parole soit libre. Ce qui va se passer là est essentiel», martèle Weisz. D’autant que se profile «la menace des menaces», dans ce milieu où les places sont peu nombreuses : l’arrivée massive des entraîneurs étrangers.

Au début de la saison écoulée, trois des clubs les plus puissants du pays étaient coachés par deux Monténégrins (Zvezdan Mitrović  à Monaco et Duško Vujošević à Limoges) et un Finlandais (Henrik Dettman à Strasbourg). «Dans le basket français, il y a la télé, une très bonne organisation, un All-Star Game, etc. Les coaches étrangers acceptent le salaire qui leur est proposé en France afin de se faire un nom. Cette année, beaucoup de présidents, notamment à la Leaders Cup, disaient : l’année prochaine, je prendrai un coach étranger. Tous ne le feront pas, mais la réflexion est dans leur tête. Le protectionnisme se limite et on n’arrivera pas à ce qu’il perdure. Il est temps de se prendre en main», appelle Weisz. Revoir la formation du métier, le jeu développé : le chantier est colossal. Il faudra cela pour reprouver à l’Europe que les coaches français sont aussi performants que les autres.

 

Article extrait du numéro 10 de Basket Le Mag  (Juillet-Août 2017)