Le 11 mai 2024, au soir de la dernière journée de la saison régulière, trois clubs de l’élite seront relégués en Pro B. Cette réduction de la première division, de 18 à 16, fait bondir les entraîneurs.
Par Yann Casseville
Sautons directement les pieds dans le plat. «Déjà, ces trois descentes, je pense que c’est une vaste connerie, pour reprendre les mots de Jean-Denys Choulet», entame Laurent Vila (Cholet). Pour être précis, JDC (Roanne) est plus cash encore : «C’est la plus grosse des conneries !», tonne-t-il. «Tous les coaches, hormis peut-être les deux d’Euroleague, étaient contre. Redescendre à 16 est complètement aberrant», ajoute Laurent Legname (Gravelines-Dunkerque). «Il suffit de regarder les pays à côté : en Espagne, en Italie, ils sont 18. On croit être meilleur pour passer à 16 ?», questionne un entraîneur de l’élite, en off. «Et personne ne parle de la Pro B, mais elle va se retrouver à 20, ça va être un sacré bordel. La première division fera moins de matches que la deuxième et la troisième, alors qu’on a aussi besoin de recettes, de billetterie. Il y avait d’autres choses à faire. Par exemple, la Coupe de France, qui ne sert à rien. Mais là, cette décision, c’est du grand n’importe quoi.»
Voté puis désavoué
Retour en arrière. À l’été 2018, quatre ans après avoir monté sa première division à 18 en attribuant deux invitations (Châlons-Reims et Rouen), la LNB fait machine arrière. À la première place des vingt-trois résolutions de son plan stratégique, est inscrit pour 2020 le retour à 16, voté par les présidents, malgré «un clivage très net», reconnaît Alain Béral, alors patron de la ligue. La volonté de concentrer l’élite est justifiée par des raisons économiques et de calendrier, face à l’arrivée des fenêtres internationales et les quatre coupes d’Europe.
Le changement est d’abord gelé par le Covid, puis par les clubs, devenus majoritairement contre en 2022. Mais la fédération saura finalement se montrer suffisamment persuasive pour confirmer les trois descentes, en juin 2024. «Les présidents avaient voté pour en connaissances de cause la première fois. Mais la deuxième fois, on leur a un peu tordu le bras pour qu’ils le fassent…», persifle un coach.
C’est qu’entretemps, le contexte a évolué, aussi bien en France, où le championnat s’est un temps retrouvé sans diffuseur et a depuis revu ses prétentions de droits TV à la baisse, qu’en Europe, où le réchauffement des rapports entre FIBA et Euroleague a mené à la suppression de la fenêtre internationale de novembre. «Si on me dit : on passe à 16 parce qu’on aura tant de millions de droits TV par an, OK. Mais là, qui peut me dire combien on va toucher de droits TV ?», demande Choulet, alors que le contrat paraphé par la LNB avec L’Équipe et Skweek est estimé à 2,5 M€ annuels. Une fois une partie récupérée par la ligue pour ses frais de fonctionnement et le reste dispatché en 16/18, pas de quoi changer la vie d’un club. «L’argument avancé, c’était une meilleure répartition des droits TV, mais ils existent à peine !», déplore Vila. «La situation a changé, mais les gens ont continué à foncer. Droit dans le mur.»
Records d’affluences
Quant au calendrier, «comme une trêve internationale a sauté, il y a moyen de jouer plus», note Éric Girard (Le Portel). «Là, on enlève des matches. Ça arrange peut-être Monaco et Villeurbanne, pour qu’ils puissent plus se reposer, tant mieux pour eux, mais ça prive les autres qui cherchent à faire des recettes. Un match à domicile, c’est 100 000 €. Chez nous, ce prix, c’est un bon joueur.» Micro éteint, un coach critique la toute puissance des deux formations d’Euroleague : «Bientôt, ce sont Monaco et l’Asvel qui vont déterminer le calendrier… Mais qu’est-ce que ça peut leur foutre d’avoir quatre matches de plus ?» «J’ai proposé que les clubs d’Euroleague n’aient pas la limite des 16 contrats autorisés par la LNB», confie Choulet. «S’ils sont fatigués parce qu’il y a trop de matches, ils n’ont qu’à prendre cinq joueurs de plus. Ce n’est pas l’argent qui les gêne.» La saison passée, Monaco, qui alignait 12 pros (contre 15 aujourd’hui), n’utilisait même pas Yoan Makoundou en Euroleague…
“Si Monaco et l’ASVEL sont fatigués parce qu’il y a trop de matches, ils n’ont qu’à prendre cinq joueurs de plus. Ce n’est pas l’argent qui les gêne.” Jean-Denys Choulet
Les entraîneurs regrettent aussi que cette réduction de la première division arrive au moment où le basket français bat ses records d’affluence (3 910 spectateurs de moyenne en Betclic Élite la saison passée). Une ferveur qui ne se résume pas à Wemby, loin de là, puisque nombre de records furent établis sans lui : l’affluence moyenne à Nancy, les 16 319 spectateurs pour Nanterre-ASVEL à La Défense Arena, les 10 424 pour Paris-Monaco à Roland-Garros, les 9 503 pour Orléans-Angers en Pro B à CO’Met… «La saison passée a été magnifique, au-delà du phénomène Wembanyama. Le basket a besoin d’être présent sur tout le territoire et aujourd’hui, on met des bâtons dans les roues des clubs et de leur développement», regrette Vila.
«Il n’y a jamais eu autant d’engouement que dans les villes moyennes. Roanne, 4 850 spectateurs de moyenne. Cholet, ils font des spectateurs. Le Portel, c’est blindé. Chalon a montré en playoffs qu’ils sont une place forte du basket français. Ces clubs-là ont moins de budget, donc sont menacés, mais ce sont ceux où il y a le plus de spectateurs», rappelle Choulet. «Alors qu’à côté, tu as des clubs qui mettent à peine 1 500 personnes dans la salle mais n’ont pas de souci parce qu’ils ont le budget en conséquence. C’est dérangeant.»
15 clubs sur 18 concernés
Éric Girard, spécialiste ès maintien au Portel, pronostiqué dans la charrette chaque année depuis son accession à l’élite en 2016, intervient : «Peut-être que les trois relégués seront les trois plus petits budgets, mais il ne faut pas croire que cela va forcément se passer comme ça. Il n’y a pas que les petits clubs qui sont concernés par la descente. N’importe qui, à part Villeurbanne et Monaco, peut être concerné.» Laurent Legname abonde, ajoutant Paris parmi les équipes protégées «par leur qualité d’effectif et leur puissance financière» : «Ensuite, tout peut se jouer. Sans faire le Guy Roux, le premier objectif sera d’éviter les trois dernières places. D’autant qu’avant, on se maintenait à 12 victoires, l’an dernier il en fallait 13 ou 14. Donc à un ou deux matches près, tu peux te retrouver en playoffs ou relégable.» «En deux matches, tu peux avancer ou reculer de dix places», dit Freddy Fauthoux (Bourg-en-Bresse). «Tout est fragile, on l’a vécu l’an dernier au gré de nos blessures», appuie Pascal Donnadieu (Nanterre). «Il y a une bonne dizaine d’équipes pouvant très vite basculer entre playoffs et zone rouge.»
En 2023, alors que les playoffs s’accrochaient avec un bilan de 17-17, les premiers non-relégables (Blois, à égalité avec Limoges, Nancy et Nanterre) affichaient 14 succès pour 20 revers. Soit 42% de victoires. Plus que les premiers sauvés en Italie (37%), Turquie (33%), Allemagne, Espagne, Israël (32%) ou encore Grèce (23%). Autrement dit : la Betclic Élite est le championnat le plus dense du continent. «Chez nous, chaque match compte, chaque année, mais c’est encore plus prononcé cette saison», estime Fauthoux. «La densité du championnat s’est encore élevée», acquiesce Donnadieu. «Oui, je suis d’accord», continue Elric Delord (Le Mans). «Ceux qui sortent d’une année moyenne ou pas aussi fructueuse qu’espère, comme Paris, Gravelines, Nanterre, vont être là.»
Massimo Cancellieri (Strasbourg) a donné un mot d’ordre à son groupe : gare au goal average particulier. «Il vaut mieux ne pas perdre ses deux matches contre un club, au moins essayer d’être à 1-1. La saison dernière, avec Limoges, on a risqué la descente à cause de ça. On avait battu Monaco deux fois, mais on avait perdu deux fois contre Pau et on n’avait pas le goal average contre Nancy, Le Portel. Et ça, avec trois descentes, ça va être une donnée cruciale.»
Combien d’entraîneurs coupés ?
Panique générale en vue ? «Certains vont jouer avec la peur au ventre», estime Savo Vucevic (Chalon-sur-Saône). «Il ne faut surtout pas avoir peur», enchaîne Julien Mahé (Saint-Quentin). «Nous, on est promu, tout le monde va nous voir dans les trois derniers, on n’a rien à perdre. Par contre, beaucoup de clubs vont avoir peur. Il suffit de se rappeler ce qui était arrivé en 2019-20, quand il devait y avoir les trois descentes.» Avant l’interruption du championnat due au Covid, en mars, sept entraîneurs sur dix-huit avaient pris la porte (voir encadré) ! «Parce que les clubs avaient la trouille», poursuit Mahé.
“Ça va probablement couper beaucoup plus vite. Je suis prêt à parier qu’au bout de six semaines de compétition, il y aura déjà trois coaches coupés.” Elric Delord
Bis repetita en 2023-24 ? «Des ajustements seront faits avec des joueurs et coaches. C’est déjà le cas chaque année, mais cette saison, avec cette pression supplémentaire, il y en aura plus», anticipe Laurent Vila. «Beaucoup de coaches sont en fin de contrat en juin, donc ça va probablement couper beaucoup plus vite que s’il n’y avait pas ces trois descentes. Je suis prêt à parier qu’au bout de six semaines de compétition, il y aura déjà trois coaches coupés», avance Delord. «Au Portel, on sait qu’on peut mal commencer, on ne coupe pas les Ricains ou le staff pour un oui ou pour un non. Mais dans d’autres clubs, dès qu’il y a un peu de pression, ça valse de tous les côtés», renchérit Girard. «Et ça risque d’arriver, parce que si tu descends, après, bon courage pour remonter !»
À partir de 2024-25, si la lanterne rouge de l’élite sera reléguée, l’avant-dernier aura une chance de se maintenir en étant intégré aux playoffs de Pro B. «Je tourne le sujet de façon positive : si tu arrives à prendre le bon virage cette saison, tu te retrouves dans une Pro A à 16 avec une descente et demi, c’est une occasion d’inscrire ton club dans la durée», relativise Mahé. «Mais ceux qui vont voir le côté négatif seront mal barrés.» Bienvenue en 2023-24, la saison de tous les dangers. De la peur. Et, peut-être, de la panique.