THIERRY DEGORCE – PRÉSIDENT DU GROUPE JDA.

L’homme a pris la présidence de la JDA Dijon en 2015. Depuis, l’équipe a connu ses plus belles heures : victorieuse de la Leaders Cup 2020, finaliste du championnat 2021, en lice pour clore une sixième saison d’affilée dans le Top 5. Derrière la réussite sportive, une stratégie : développer la marque JDA.

PROPOS RECUEILLIS PAR YANN CASSEVILLE

A la JDA, vous êtes le président, et votre sœur, Nathalie Voisin, la directrice générale. C’est une histoire de famille ?

Avant d’être au sein de la JDA, notre histoire a été de baigner dans une entreprise familiale. Notre père a créé il y a 45 ans l’entreprise Iserba (maintenance immobilière), dans laquelle ma sœur et moi sommes entrés il y a plus de trente-cinq ans. Certes, il n’y avait que quinze personnes à l’époque, contre 1 600 aujourd’hui, mais on a conservé cet esprit de famille ; les deux actionnaires majoritaires sont ma sœur et moi, on reste des indépendants. C’est ce qui m’a accroché a la JDA, la longévité du club, qui a plus de 140 ans (fondé en 1880), cet esprit de famille. Quelque part, on est arrivé à la JDA avec cet ADN d’entreprise-famille.

“ÊTRE PRÉSIDENT D’UN CLUB N’AVAIT JAMAIS ÉTÉ UN OBJECTIF. ÇA M’EST TOMBÉ DESSUS. MA PREMIÈRE ACTION FUT DE DIRE : MOI, JE NE CONNAIS RIEN AU BASKET !”

Qu’est-ce qui vous a motivé a prendre la présidence de la JDA en 2015 ?

Être président d’un club n’avait jamais été un objectif. A l’époque, j’avais 50 ans, j’évoluais depuis longtemps dans un environnement professionnel, et j’avais envie d’aller voir autre chose. L’opportunité du monde sportif m’a été présentée, dans un premier temps comme partenaire. Michel Renault, le président de l’époque, m’a dit : «Est-ce que ça t’intéresserait de découvrir le monde du sport à côté de moi ?» Sachant que je ne suis absolument pas sportif, je ne connaissais rien au basket. Et ça s’est fait naturellement, jusqu’au jour ou Michel a été tenu de se retirer. Et la personne qui était un peu plus a côté de lui, c’était bibi. Donc ça m’est entre guillemets tombé dessus. Ma première action a été de dire : «Moi, je ne connais rien au basket !» Je suis allé voir Jean-Louis Borg, le coach a l’époque. Il était connu, reconnu dans le monde du basket, je lui ai demandé s’il voulait évoluer sur un poste de manageur sportif, avec ma sœur aux finances et moi pour la partie relation avec les élus, développement commercial. Et on s’est lancé ensemble tous les trois, pour reprendre ce club qui était vraiment en souffrance, pratiquement en dépôt de bilan.

Votre vision : gérer le club comme une entreprise ?

J’avais constaté à l’époque que beaucoup de présidents étaient des passionnés du sportif, mais la passion l’emportait quelque part sur la gestion de l’entreprise. Je me suis dit : ce n’est pas possible, on ne peut pas gérer un club, qu’il ait 3 M€ de budget, celui de l’époque, ou 5,5, celui d’aujourd’hui, comme une association. Il faut des process de pilotage, des contrôles de gestion, des tableaux de bord. Dans le monde de l’entreprise, il y a la norme ISO, cela montre qu’on met en place des process. On est allé chercher cette certification, ce qui n’existe pas dans le monde du sport, ou il n’y a pas de club certifié. Le seul, c’est la JDA ! On est parti il y a trois ans obtenir une norme ISO, pour regagner la confiance des partenaires et des élus, leur dire : oui, il reste beaucoup a faire, mais en tout cas, il y a un contrôle de gestion, des services qui sont la pour gérer une entreprise et ne plus perdre de l’argent. C’était ça, le combat. Et on n’en a plus jamais perdu en huit ans. Aujourd’hui, on a une certification, un Label de la Ligue – avant, la JDA ne répondait même pas au dossier –, et on se bat pour se développer.

Jonathan Rousselle, balle en main. Crédit photo : Hervé Bellenger, LNB

Avec l’idée qu’en 2023, un club professionnel doit être plus qu’un «simple» club sportif ?

Exactement. Un club de sport ne peut pas continuer de vivre uniquement de subventions, il faut créer un modèle économique, aller chercher d’autres activités. On joue la coupe d’Europe depuis cinq ans, on se balade partout, et a chaque fois, à l’étranger, quand on demande : «Dijon, vous connaissez ?» Pas de réponse. Et la Bourgogne ? «Ah oui, bien sûr !» Donc on s’est dit qu’on devait aller chercher des activités qui représentent la Bourgogne. Et la représentation de la Bourgogne, c’est quoi ? La gastronomie – on s’est lancé dans l’aventure d’ouvrir quelques restaurants – et le viticole. Ce sujet me motive encore plus. Au sein de la JDA, on a une entreprise d’exploitation viticole de 22 hectares dans le Mâconnais, ainsi qu’un un vrai projet de développement a Dijon, des 2024, ou on aura 7 hectares de vignes.

 “ON A CRÉÉ UNE HOLDING, GROUPE JDA, DANS LAQUELLE ON A DIX FILIALES. L’IDÉE EST DE DÉVELOPPER LA MARQUE JDA À TRAVERS DIFFÉRENTES ACTIVITÉS EN BOURGOGNE. C’EST QUATRE RESTAURANTS, UN DOMAINE VITICOLE DE 22 HECTARES, DEUX SITES DE SÉMINAIRES…”

Le vignoble Les Arbillons et l’Auberge Larochette du Groupe JDA.

 

La JDA est désormais une holding avec plusieurs filiales, et le basket est l’une d’elles ?

C’est ça. On a créé une holding, Groupe JDA, dans laquelle on a dix filiales. L’idée est de développer la marque JDA a travers différentes activités en Bourgogne, créer un maillage d’activités autour du sportif. Aujourd’hui, ça représente 85-90 personnes. C’est quatre restaurants, un domaine viticole de vingt-deux hectares, deux sites de séminaires, la Demeure Les Arbillons à Mâcon, une bâtisse de quatorze suites que nous avons rénovée, et La Bergerie a Dijon, un site de sept hectares où l’on va lancer, dans un mois, 2 M€ de travaux de rénovation. La JDA, ce n’est plus que du sport, c’est aussi des clients qui viennent sur nos sites de séminaires, nos restaurants, qui achètent du vin… On développe des activités annexes, mais qui viennent renforcer le côté sportif. Certains passionnés de sport ne comprennent pas ou on veut aller. Ils se disent : «Pourquoi avec du sport, on vend du Saint-Véran et du Pouilly-Fuissé, pourquoi demain on vendra des Bourgogne-Dijon ?» Mais notre ambition n’a pas changé. Elle part d’une ambition sportive. La JDA, indépendamment d’être dans les cinq premiers du championnat depuis cinq ans, veut se maintenir en Europe. Pour cela, il faut une équipe sportive a la hauteur, donc des moyens financiers. Je ne veux pas aller pleurer des sous auprès des collectivités, donc avec nos 250 partenaires, avec notre modèle économique, on se débrouille pour aller chercher plus de moyens. C’est le sport qui motive tout cela.

Le Pick N Roll : un des quatre restaurants de la Maison Pierre Grenat (Groupe JDA) que dirige Alain De Senne en plein centre de Dijon.

C’est dans cette logique que la JDA a accueilli en son sein, en 2018, une équipe de handball féminine de première division, alors nommée Cercle Dijon Bourgogne et devenue JDA Dijon Handball ?

Au début, je pensais au basket féminin. Sauf qu’il n’y a pas aujourd’hui a Dijon de club dans l’élite. Mais dans les mêmes murs, on avait un club historique de hand. Le président de l’époque m’a dit : «Je ne peux plus porter le club, je serais partisan de me rapprocher de la JDA». Ça me plaisait, j’ai répondu : «Oui, mais il faut que le club et l’association changent de nom et deviennent JDA». Et comme c’était un club ou les joueuses n’étaient plus payées, ça s’est fait naturellement. Aujourd’hui, les deux équipes ont bien sur des directeurs sportifs autonomes, mais on a mutualisé un certain nombre de fonctions support : finances, billetterie, commercial… La JDA est un club omnisports, basket et hand, et peut-être que demain il y aura un troisième, dans une logique de développer la marque et de toucher encore plus de monde.

La JDA Dijon Handball, le club féminin de la JDA, évolue en LFH en Ligue Butagaz Énergie.

Développer les moyens et, a terme, viser quel budget ? Cette saison, la JDA affiche le 11e budget (5,6 M€) et la 5e masse salariale (2,0 M€) de Betclic Élite.

Déjà, on a prouvé qu’avec de petits budgets, on arrive à embêter tout le monde. Parce que si on prend les copains de l’ASVEL et Monaco, nous, a côté, on est des rigolos. Mais on les embête quand même. J’ai la même philosophie avec Iserba, ou on n’a que de grands groupes en face : EDF, Engie… Pour la JDA, je n’ai pas l’ambition de dire : «Demain, il faut 10 M€, 15 M€». Ce qu’il faut, c’est être dans une dynamique ou le budget augmente chaque année et maintienne une masse salariale. Plus vous donnez d’argent au domaine sportif, plus ils vont chercher des joueurs chers. Mais il faut aussi savoir découvrir des pépites. David Holston est arrivé chez nous avec un petit salaire. Depuis, il l’a doublé. C’est ça : recruter des pépites, les faire grandir, et avoir la capacité de leur proposer des salaires pour rester. Chaque année, notre masse salariale augmente d’environ 200-300 000 €, ça permet de maintenir le staff et de ne pas casser l’équipe. Conserver 60 % de l’effectif nécessite des moyens qui augmentent un peu chaque année.

Dans cette stratégie de continuité, avez-vous eu peur a l’intersaison 2021, quand Laurent Legname, Axel Julien et Alexandre Chassang sont partis ?

Peur, oui, on a toujours la crainte. Dans le sport comme partout, il y a toujours des cycles, c’est naturel. Nous, notre cycle va se terminer a un moment, c’est sûr. Ce ne sera pas cette saison, peut-être à la fin de la saison prochaine. Parce que nos 60 % de joueurs conservés aujourd’hui ne seront plus là demain. Un jour, on aura un creux, il ne faudra pas descendre trop bas mais c’est légitime, la vie est faite de cycles. C’est toute la stratégie de recrutement, que l’on suit actuellement, pour aller chercher des pépites, les développer deux-trois ans. Et l’idée est de conserver les joueurs qui ont apporté beaucoup, les repositionner dans le groupe JDA sur des missions ou ils continueront d’apporter une expertise, sportive ou non. David Holston, demain, sa mission dans le club sera différente.

La star US de Dijon, David Holston, au club depuis 2015, pourrait devenir française.

“L’OBJECTIF EST DE NATURALISER DAVID HOLSTON SUR LA FIN DE SAISON.”

Il arrive en fin de contrat en juin.

Oui, mais son souhait est de poursuivre. Avec David, on travaille a 3 ans. Nos échanges, ce n’est pas que sportif, c’est réfléchir, déjà aujourd’hui, comment cela va se passer après. Quelles sont les activités ou il pourra nous amener de la valeur ajoutée ? C’est valable aussi pour Jacques Alingue, pour quelques joueurs emblématiques, qui continueront d’être chez nous dans des fonctions différentes. Aujourd’hui, David anime quelques soirées dans nos restaurants, notamment au Pick & Roll, qui est très orienté basket. Il fait le menu, il accueille les clients. Il est acteur d’un développement économique pour faire avancer le club.

Votre directeur sportif Fabien Romeyer a révélé dans Le Bien Public que des démarches de naturalisation ont été entamées.

Oui, depuis un an. David a un peu de mal à apprendre le français – sa copine, handballeuse a la JDA, apprend beaucoup plus rapidement ! –, mais on le booste sur le sujet. L’objectif est de le naturaliser sur la fin de la saison et de continuer la belle aventure avec la JDA.

A l’inverse, le club a annoncé la prolongation du coach Nenad Marković… pour une saison seulement. Pourquoi cette durée ?

C’est un an plus un an, il y a une année renouvelable. On a un cycle qui va se terminer, je pense, l’année prochaine. Cela nécessite un certain nombre de compétences pour un coach. Déjà, accepter de recommencer avec de nouveaux joueurs qui, peut-être, seront moins performants. Le fonctionnement du club doit être en adéquation avec le coach. Si le club dit «on aura plus de jeunes dans l’équipe, une page va se recréer», et que le coach a de hautes ambitions européennes, je ne suis pas sûr que cela l’intéresse. Donc je n’ai pas voulu l’engager sur deux ans d’office, non pas que je ne le reconnais pas dans ses compétences, mais parce que je ne sais pas exactement ou je serai dans deux ans. Il l’a compris. C’est un coach connu en Europe, il a l’ambition de poursuivre sur ce chemin, et peut-être que ça sera compliqué pour nous de répondre a ses attentes. Peut-être, je n’en sais rien.

Un projet de nouvelle salle avait été dévoilé avant la pandémie. Ce n’est plus du tout d’actualité ?

Avant la Covid, avant tous ces événements, on avait un vrai projet porté par des financements privés, un budget de 35 M€. Heureusement que ça ne s’est pas fait, parce qu’on serait peut-être dans la galère aujourd’hui. Les choses ont depuis évolué complètement différemment, avec le maire (François Rebsamen), également président de la Métropole, un bail emphytéotique du Palais des Sports est en cours de négociations. On doit se voir dans quelques jours pour en définir les modalités. La Métropole a mis 3 M€ d’investissements, ils ont fait beaucoup de travaux de rénovation. Aujourd’hui, le Palais a de la gueule ! Bien sur que je rêverais d’un Palais tout beau, tout neuf, comme Saint-Chamond, mais dans le contexte actuel, un tel projet, s’il n’est pas porté par les collectivités, c’est impossible. Là, on a un bel outil, en plein centre de Dijon, qui est amplement suffisant pour nous.

Sportivement, la JDA s’est positionnée parmi les meilleures équipes ces dernières années. Aprés la victoire en Leaders Cup en 2020 et la finale du championnat en 2021, comment voyez-vous l’avenir ?

L’objectif, pour moi qui suis le sixième ou septième président de ce club historique, est que l’aventure JDA continue. Si elle peut continuer dans les cinq premiers, génial, mais l’ambition est surtout que cela devienne une entreprise pérenne, qui continue de grandir sportivement. C’est sa progression qui m’intéresse, pas son chiffre ou son résultat financier. Mais j’avoue quand même que soulever un trophée, si on pouvait le refaire un jour… (Il rit) J’étais déçu cette saison, parce qu’on a été vraiment nul en Leaders Cup et en Coupe de France, qui sont des compétitions adaptées pour des clubs comme nous. Gagner le championnat, quand vous avez Monaco et l’ASVEL, avec leur longueur de banc, c’est compliqué. Mais sur trois matches, c’est autre chose. Et quand on a gagné la Leaders Cup, on chialait tous comme des gamins. De temps en temps, je revois notre match contre l’ASVEL, celui contre Monaco, et ça me donne encore des frissons. Moi, je ne suis pas issu du monde du sport, je ne connaissais pas, et je ne pensais pas qu’on pouvait ressentir autant d’émotions aussi fortes.

Nenad Markovic, le coach de la JDA Dijon Basket.

LA JDA DEPUIS 2015 : LE MEILLEUR RAPPORT QUALITÉ-PRIX

En comparant les résultats sportifs vis-à-vis des masses salariales des clubs présents dans l’élite depuis 2015, un constat s’impose : la JDA est l’équipe qui surperforme le plus. De loin.

Le tableau ci-dessous dresse, pour chaque club présent dans l’élite depuis 2015 (année ou Thierry Degorce a pris la présidence de la JDA), le différentiel entre deux classements, saison après saison : le classement sportif par rapport a celui des masses salariales. L’exercice 2019-20, interrompu après vingt-quatre journées en raison de la pandémie, n’a pas été pris en compte. Et même si un tel calcul interdit aux clubs les plus fortunés de briller (l’ASVEL et Monaco, habituées à être les deux plus importantes masses salariales, ne peuvent pas surperformer mathématiquement), il se révèle tout de même digne d’intérêt pour révéler les écarts importants entre argent et victoires. Et a ce petit jeu, la JDA se détache nettement dans le positif. Son avance sur la concurrence pourrait être plus forte encore si l’on avait comptabilisé la saison 2019-20, quand l’équipe, qui alignait alors la 11e masse salariale, pointait en tête du championnat avant son interruption. Et a l’avenir, pour une année de plus, a minima, Dijon devrait conserver la première place de ce classement, puisqu’en 2022- 23, la JDA, 5e masse salariale, est en lice pour figurer dans le Top 5 a l’issue de la saison régulière.

DIFFÉRENTIEL ENTRE MASSES SALARIALES ET CLASSEMENTS

➕ : un club a terminé plus haut au classement que ne le voulait la logique budgétaire (une équipe finissant 6e de la saison avec le 8e budget aura +2)

➖ : un club a terminé moins haut au classement que ne le voulait la logique budgétaire (une équipe finissant 12e avec le 5e budget aura -7)

🟰 : un club a terminé la saison à la même place au classement que dans la hiérarchie des masses salariales

 

Extrait du numéro 73 de Basket Le Mag (avril 2023)

Retrouvez l’intégralité des articles dans le numéro 73

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