Aujourd’hui, il se fait appeler le Comte de Bouderbala. Plus d’un million de spectateurs sont venus voir son spectacle. De son vrai nom Sami Ameziane, il raconte ici sa première carrière : basketteur. Celle qui, par un exceptionnel concours de circonstances, mena le petit gars de Saint-Denis dans l’équipe des Connecticut Huskies alors champions NCAA.
Propos recueillis par Yann CASSEVILLE
Je suis en scooter, donc si je me prends une voiture, tu pourras dire que mes derniers mots ont été pour le magazine Basket !” L’interview n’a pas commencé que le Comte de Bouderbala lance sa première vanne. Dans le monde de l’humour, Sami Ameziane s’est fait sa place. Il a joué son premier spectacle pendant plusieurs années, devant plus d’un million de spectateurs au total. Actuellement, il est à l’affiche sur les grands boulevards parisiens, au Théâtre du Gymnase, pour son nouveau stand-up. Pour autant, il a toute légitimité dans ces colonnes. Il a commencé très tôt à dribbler sur les playgrounds de Saint-Denis, ville où il est né, le 6 janvier 1979. Meneur prometteur, repéré par le PSG Racing, il a rapidement gravi les échelons, jusqu’à goûter à la Pro B, six matches, avec Bondy en 1999-2000, et à devenir international algérien. Surtout, il a passé une saison à l’université de Connectictut, en 2004-05, chez les Huskies, alors champions NCAA en titre. Avant de délaisser le basket pour l’humour. Avant que Sami ne devienne le Comte.Quel rapport avez-vous aujourd’hui avec le basket ?
Est-ce que ça représente encore quelque chose pour moi ? Non. Point, et fin de l’interview. (Il rit) Non, je continue à jouer. Mon passage aux États-Unis m’a montré que le sport, c’est pour toute ta vie. Tu as des mecs qui jouent jusqu’à 80 piges. J’aimerais jouer encore longtemps. Pour moi, c’est tellement important, c’est un équilibre.
À quel niveau jouez-vous ?
Ah j’ai arrêté les niveaux sérieux ! Je suis sur scène le samedi soir, j’ai un gros rythme de spectacles, donc c’est compliqué d’arriver dans un club et de dire que tu ne vas faire que quelques entraînements. J’ai préféré mettre ça de côté, et aujourd’hui je joue souvent à la Hoops Factory, à Aubervilliers. Ça me va très bien, je peux y aller quand je veux, tard le soir, je m’entraîne de mon côté, je fais des matches avec mes potes. Cette Hoops Factory, c’est une bénédiction. Je dis bravo à Gilles ! (Référence à Gilles Bravo, directeur de l’enseigne.) Oh la blague, t’as vu le niveau du mec !
Avez-vous toujours des contacts dans le milieu ?
Un de mes très bons amis est Yorick Hachemi, l’un des principaux agents en France et à l’étranger. On a grandi ensemble, encore aujourd’hui on est souvent ensemble. J’ai aussi quelques potes en Pro A, Pro B, NBA, des pré-retraités, ou des jeunes qu’on a vu grandir, ou les enfants de mes potes. Les frères Aboudou, Amara Sy, son frère Bandja…
Après le titre de champion de Nanterre en 2013, vous avez participé à un petit clip de promotion. Vous appréciez ce club ?
Je l’ai toujours suivi. L’assistant-coach, Frank Le Goff, a été mon premier entraîneur au PSG Racing, en minimes. Et quand j’étais à Levallois en N2, Pascal Donnadieu voulait me signer, mais j’étais prêté à Levallois par Bondy. J’ai fait deux ans de prêt. La première année j’ai connu une très bonne saison avec Levallois, ensuite je devais partir, mais ils m’ont bloqué, par rapport à Nanterre. Ils m’ont un peu mis au placard. Quand tu n’as pas un bon agent dans le milieu et que tu n’es pas bien conseillé, c’est compliqué… Mais Nanterre, c’est un club que j’aime bien, parce qu’il est familial et qu’il prouve qu’en donnant la chance aux gens du cru, tu peux arriver à de bonnes choses.
Avec Bondy, vous avez signé votre premier contrat pro. C’était un rêve qui se réalisait ?
L’histoire est marrante. J’étais espoir là-bas, le meilleur marqueur et passeur de l’équipe. Logiquement, c’étaient les meilleurs espoirs qui devaient s’entraîner avec la Pro B. Sauf que là, ça n’était pas du tout le cas, c’étaient le neveu du coach et le frère de l’assistant qui s’entraînaient avec la Pro B. Alors que ces mecs étaient de vilaines merguezs comme on dit ! (Il rit) Nous, ça nous rendait dingues, parce que ces gars-là, on les défonçait à l’entraînement. Je me suis dit qu’à un moment le vent allait tourner. Comme les pros s’entraînaient avant nous, j’allais à leurs séances et je faisais de la corde à sauter à côté, du foncier. Il y a toujours un moment où le coach va dire : lui est blessé, donc toi le jeune, viens faire le nombre. Et c’est ce qu’il s’est passé. Un jour, le coach, Savo Vucevic, m’a dit (il prend l’accent serbe) : “Sami, viens faire le dixième joueur.” J’ai commencé à m’incruster, et tous les jours, j’ai continué à débarquer à leurs entraînements, même quand nous, les espoirs, n’avions pas entraînement. Un jour Savo a pété les plombs, il m’a convoqué : “Sami, il faut arrêter de venir avec les pros maintenant, ça suffit !” J’ai dit : “Oui, oui, t’inquiète, c’est promis.” Évidemment le lendemain, j’étais de retour. Je n’ai pas lâché l’affaire et à la fin de l’année c’est lui qui m’a fait signer mon premier contrat pro.
Pourquoi êtes-vous parti aux États-Unis, à 25 ans ?
À l’époque, à côté du basket, j’avais la chance d’aller à la fac à Saint-Denis, avec des horaires aménagés. Le basket, financièrement, ce n’était pas le top, donc je me disais qu’il valait mieux préparer les arrières, l’après-basket. Et j’ai bien fait parce que c’est la fac qui m’a permis de faire mon échange universitaire aux États-Unis et de jouer avec UConn. Je ne suis pas parti là-bas pour le ballon, pas du tout, c’était vraiment pour les études. J’étais à la business school.
L’histoire veut que vous ayez intégré les Huskies, alors champions NCAA en titre, grâce à une coiffeuse. C’est une légende ?
Non, c’est vrai. C’est une histoire à l’américaine, un truc de fou, le hasard, la bonne étoile… Sur le campus, je continuais à m’entraîner. Un jour, j’étais à la cantine avec les autres Français. C’étaient tous des bourgeois de Paris, le luxe, la finance, moi j’étais le seul connard de Saint-Denis, la fac des clandestins, donc ils me charriaient, ils me voyaient jouer au basket avec les Noirs américains et me lançaient : “Pourquoi tu n’essaies pas de jouer avec UConn ?” Ils disaient ça pour se foutre de ma gueule. Et donc un jour, je cherchais un coiffeur, et c’est l’un de ces gars qui se foutaient de ma gueule qui m’a donné l’adresse d’une coiffeuse du campus. Au salon, j’ai commencé à discuter avec elle. “Je fais du basket, j’étais pro en France.” “Alors, pourquoi tu ne joues pas avec UConn ?” Je lui réponds que je n’ai pas de contact. Elle prend son téléphone, appelle l’assistant-coach : “J’ai un basketteur français avec moi, vous pourriez l’essayer.” Le mec me donne rendez-vous dix minutes après. J’arrive dans son bureau : “C’est moi le basketteur.” Lui s’attendait à voir un grand Noir, il me voit : une espèce de Portugais court sur pattes. Il s’est arrêté à la hauteur de mes genoux ! Il a dit : “Ah bon, basketteur ?” Il a commencé à me dissuader : “Ça va être compliqué, tous les mec sont de super prospects, vont aller en NBA. Va les voir s’entraîner et reviens me voir ensuite.” Il avait l’air pessimiste. La chance que j’ai eue, c’est que juste après moi, au salon de coiffure, Jim Calhoun (le coach) est venu se faire couper les cheveux, et la coiffeuse lui a parlé de moi. Un truc de fou ! Je sors de l’entretien avec l’assistant et je tombe sur qui ? Calhoun ! “C’est toi le basketteur français ? Tu as déjà joué avec Parker ?” “Non, mais j’ai joué contre lui quand il était à l’Insep.” Il me dit : “Viens dans mon bureau.” Je débarque dans son bureau, avec des coupes en veux-tu en voilà, les photos avec Clinton à la Maison Blanche. Il me dit : “On cherche un meneur.” Je lui réponds : “C’est mon poste.” “On te met à l’essai une semaine.” Moi, forcément, je ne dors pas de la nuit, je me dis que c’est la chance de ma vie. Le lendemain, premier entraînement de l’année, le plus dur. Pendant quatre heures trente, ils poussent les mecs un maximum pour voir qui résiste. Pour moi, ça se passe bien. À la fin, ils font le test Luc Léger – test de résistance, tu cours d’un côté à un autre du terrain dans un temps qui diminue – et je défonce le test. Je cours depuis que j’ai onze piges au parc de la Courneuve à Saint-Denis, je suis surentraîné ! Calhoun voit ça, me reconvoque dans son bureau : “C’est bon, tu es dans l’équipe.” J’étais choqué. Choqué ! Six mois plus tôt, j’étais à Saint-Denis en galère totale, je jouais à Poissy en N3 et encore, le coach ne me faisait même pas jouer. Je regardais UConn-Georgia Tech à la télé et je me retrouve avec ces mecs-là…
Vous avez joué avec Rudy Gay, Charlie Villanueva. Comment était l’ambiance entre coéquipiers ?
C’est un mélange, d’un côté c’est soudé, d’un autre chacun bosse dans son coin. Surtout, il ne faut pas se faire d’illusions. Quand tu arrives à un niveau comme ça, tu es dans d’autres enjeux, tu peux devenir multimillionnaire dans quelques mois. Et ça, les mecs ne l’oublient pas. Même si tu es un remplaçant, s’ils peuvent t’écraser, ils t’écraseront. Au départ, pour un Américain, tu es gentil parce que tu es exotique, mais si tu lui prends quelques minutes de temps de jeu, pour lui c’est quelques millions et c’est une meilleure position à la draft qui partent… Mais c’est une bonne émulation.
Vous êtes entré en jeu à dix reprises, sans marquer. Quels souvenirs gardez-vous ?
C’était une saison exceptionnelle. J’ai joué dans des stades de dingue, au Madison Square Garden, et le plus fou, c’est que j’ai réussi à gratter des minutes et du temps de jeu. Dans les matches de pré-saison, j’ai marqué quelques paniers, mais après, c’était chaud. Mais déjà, avoir quelques minutes à UConn, c’était inespéré. La qualité des entraînements était exceptionnelle. J’avais la possibilité de rester, mais j’avais choisi d’être senior directement, parce que je voulais que cette année me relance, pour aller jouer ailleurs, à l’international.
Vous avez eu des propositions de club après la NCAA ?
J’ai eu des contrats en Espagne, au Liban, en Arabie Saoudite, en Suisse. Le Bahreïn me proposait deux ans de contrat à 8 000 dollars par mois (7 200 €) et la nationalité au bout des deux années. J’avais plein, plein d’opportunités. Mais j’ai eu une blessure à l’épaule, et à ce moment j’ai commencé à faire du stand-up. J’ai fait un calcul simple : j’ai 26 ans, encore quelques années à jouer au basket, est-ce que ça ne serait pas plus intéressant de partir sur autre chose ? J’ai choisi la blague, et j’ai mis le basket de côté.
Dans l’un de vos sketches, vous riez du basket français. Il ne survit pas à la comparaison avec le basket américain ?
Quand tu vas jouer aux États-Unis et que tu reviens en France, c’est compliqué. Le niveau universitaire, même en deuxième division, est parfois bien plus professionnel que la Pro A. Pour nous, il y avait un entraîneur principal, sept assistants, dix manageurs, deux kinés, un mec pour la musculation, des trucs pour la balnéothérapie, des salles immenses, un jet privé… Tous les soirs, tu joues devant 30 000 personnes. On a joué au Dome à Syracuse devant 70 000 personnes. Quand tu as joué à Bondy et que tu as vu certains vestiaires de Pro B… Tu ne peux pas comparer ! Le basket, c’est dans la culture aux États-Unis. À travers les sketches, j’ai voulu tailler un peu le basket français, parce qu’étant dedans, j’ai vu des choses qui parfois sont drôles, mais parfois sont malheureuses.
C’est-à-dire ?
Ce n’est pas normal qu’il n’y ait plus de joueurs du cru. Quand je vois mes potes qui deviennent les chômeurs du basket ou qui se retrouvent à jouer en N3, ça ne va pas. C’est le problème du basket français. Je ne suis pas là pour faire de la politique, mais à un moment, il aurait fallu se mettre d’accord, sans faire du racisme, pour protéger les joueurs du cru. Mais ça n’a pas été fait. Les présidents de club préfèrent prendre des Ricains. Arrêtez de sucer les Américains ! Pourquoi toujours prendre un Ricain ?
Réponse que donnerait un coach : parce qu’il y aura toujours un Américain à petit prix sachant jouer correctement ?
Oui, qui sait jouer correctement, mais si tu n’as jamais donné ta chance aux Français, tu ne sauras jamais s’ils savent jouer aussi ! Il y a un vrai complexe d’infériorité. Pour l’avoir vécu, je sais que les coaches français vont se comporter d’une telle manière avec les Ricains et d’une autre avec les Français. C’est un scandale ! Ils vont respecter les Ricains, qui les méprisent, et ils ne vont pas respecter les Français, qui les respectent. C’est un problème culturel.
Onze ans après votre départ des Huskies, êtes-vous toujours en contact avec l’université ?
Je suis étudiant d’honneur du programme d’échange. Quand tu passes dans une fac aux États-Unis, tu conserves toujours un lien privilégié. Déjà, parce que ce sont les plus belles années de ta vie, et aussi parce qu’ils ont un système intéressant : si tu es passé par cette fac, tu paieras beaucoup moins cher quand tes enfants ou des membres de ta famille iront dans cette fac. Et vu qu’une année universitaire aux États-Unis, c’est 30 ou 40 000 dollars, c’est bon à prendre. Ils savent fidéliser. C’est pour ça que je dis aux jeunes que je croise : si vous pouvez vivre une expérience aux États-Unis, foncez. Aucun de ceux qui sont partis ne le regrette.