SAINT-QUENTIN LE PHÉNIX ET LA FERVEUR

 

Champion de Pro B, le SQBB s’est ouvert les portes de l’élite, trente ans après sa rétrogradation en N4. Sous les cendres, il y avait des braises. Celles de l’engouement populaire, dans une ville qui vibre pour son club de basket.

PAR YANN CASSEVILLE • PHOTOS : WESTCOO/SQBB

 

 

Rarement préparateur physique aura donné ordre aussi inattendu : « Tenez-vous prêts, les prochaines 48h vont être très musclées. Remplissez tous les bars de Saint-Quentin !», lance face a la foule Éric Lecomte, micro en main, sur le parvis du Palais des Sports. Le crépuscule tombe sur l’Aisne en ce vendredi 12 mai, mais les festivités ne font que commencer : ils sont des milliers pour célébrer l’accession du SQBB en Betclic Élite.

SQBB champion de France de Pro B

Saint Quentin Basket-ball est champion de France Pro B après avoir battu Angers 83-72 dans un match engagé.

Apres la victoire décisive contre Angers, les 3 500 spectateurs dans la salle envahissent le parquet, avant de rejoindre, à l’extérieur, les presque 2 000 personnes ayant suivi le match sur l’écran géant installé pour l’occasion. « Tout ça, c’est grâce à vous !», exulte Lucas Boucaud, meneur devenu ambianceur. « Merci à vous !», répète le capitaine Benoît Gillet. « Vous êtes le meilleur public de France », salue le MVP Mathis Dossou-Yovo. Ce « vous », c’est eux, ce public. Bilan du SQBB à domicile : 16-1, le meilleur de Pro B depuis dix ans (17-0 par Pau en 2012-13).

SQBB jouera la Betclic Élite dès septembre 2023

1er de la saison régulière, Saint-Quentin Basket-ball rejoint l’élite après l’avoir quittée il y a 30 ans !

« Le public a clairement renversé des matches. À domicile, les joueurs se sentaient tellement aimés, poussés, survoltés… », liste le coach Julien Mahé, fier de ce « petit chaudron », et surtout du « croisement des générations » : « Il y a les anciens, qui ont connu la N1A de 1988 à 1992, qui m’en ont parlé quasiment quotidiennement depuis trois ans que je suis là, et qui ont inspiré les plus jeunes. Aujourd’hui, on a une salle très jeune. » Cinquante ans après sa création, trente ans après avoir été rétrogradé des playoffs de l’élite a la N4, voici le SQBB de retour au plus haut niveau, et c’est donc, au-delà d’une réussite sportive, une histoire de transmission, et une histoire humaine.

“PUTAIN, TU L’AVAIS DIT IL Y A TRENTE-CINQ ANS POUR LE SQBB, ET TU L’AS FAIT !”

Laurent Prache, président du SQBB

Laurent Prache, Le président du Saint-Quentin Basket-ball.

« Bien sûr qu’une montée est magnifique, mais ce qui me plaît, c’est que ça vibre », insiste le président Laurent Prache. « Quand j’étais gamin, la ville vibrait basket. Puis le public a été maltraité pendant trente ans, on a tellement fait n’importe quoi, en termes de prix, de gestion, d’image, tellement de personnes se sont mal comportées que le club a été écorné. Mais aujourd’hui, tout le monde est fier, c’est une fierté retrouvée, et c’est ça la victoire. » L’histoire humaine, c’est aussi celle d’un couple, formé par Laurent Prache et sa compagne Marlène, tous deux investis cœurs et âmes au SQBB.

“ET SI CA MARCHE, ALORS C’EST MAGNIFIQUE”.

Le président, par ailleurs directeur d’un magasin Leclerc, a pris en 2018 les commandes d’un club alors en N1, alors à l’agonie. Un club dont il allait déjà voir les matches quand il était ado. Au soir de la victoire contre Angers, son téléphone a vibré. Des messages, encore, encore. Notamment celui de ses copains d’enfance : « Putain, tu l’avais dit il y a trente-cinq ans, et tu l’as fait !»

Prache, 51 ans, s’est alors rappelé celui qu’il était à 17 ans, qui clamait : « Un jour, je serai président du club, et un jour, on retournera en première division ». L’homme a accompli le rêve de l’ado. « Cela fait quinze ans que je suis revenu à Saint-Quentin, quinze ans qu’on me dit qu’on n’y arrivera jamais, parce que le budget, tout ça. Oui, il y a plein de raisons objectives pour montrer que ce n’est pas possible, mais ce qu’on a fait, c’est un message de relations humaines et d’espérance : croyez en vos rêves. Personne ne le fera pour vous, et si vous travaillez dur, ça peut marcher. Et si ça marche, alors, c’est magnifique. »

Julien Mahé, le coach heureux du SQBB.

Julien Mahé, le coach heureux du Saint-Quentin Basket-ball.

AVEC DES JEUNES FRANÇAIS SUR LE TERRAIN DU SQBB

Juin 1993 : le tribunal de commerce de Saint-Quentin prononce la liquidation judiciaire du club, qui trois mois plus tôt s’inclinait en 8ème de finale des playoffs face à Limoges, quelques semaines avant que le CSP ne remporte l’Euroleague. En 2018, la liquidation judiciaire menace de nouveau, au moment où Prache accepte la présidence. Amendes, points de pénalité… « J’ai quasiment mis un an pour faire l’inventaire de tous les cadavres dans le placard », témoigne le dirigeant, se faisant alors une promesse : « Si on s’en sort, on change de logo et on met un phénix ».

LE SQBB CHERCHE SON ENTRAINEUR

Qu’il voit comme un treizième signe du zodiaque, un symbole d’une renaissance. « Et on l’a fait, et aujourd’hui le phénix prend tout son sens. » Remonté en Pro B en 2019, le SQBB semble pourtant filer vers la redescente immédiate. Le 4 février 2020, relégable, il prend la foudre a Nancy (-38). « Le soir, le coach Thomas Giorguitti m’appelle et me dit qu’il rend les clés. Je dois trouver un coach dans la nuit », raconte Prache. Le contact est établi avec Julien Mahé. La discussion s’étale jusque dans la nuit. Le lendemain matin, le nouveau coach a paraphé son contrat.

Prache et Mahé, de cette rencontre va naître une confiance mutuelle. « Des heures passées ensemble, à échanger, à apprendre l’un de l’autre », décrit le coach. « Pour un club, l’alignement président-coach, et directeur sportif ou GM s’il y en a, est fondamental. » Avec Mahé, après la saison 2019-20 gelée en raison du Covid, Saint-Quentin vient d’enchaîner trois podiums : 3ème en 2021 puis 2022 et 1er en 2023. Le tout avec le 12e, 13e puis 11e budget, et avec les seuls Benoît Gillet et William Pfister restés dans l’effectif.

JULIEN MAHÉ NOUVEAU COACH DU SQBB

La réussite semble ainsi revenir à celui qui a été élu meilleur coach de la division en 2021 et 2023. « La clé, c’est la méthode dans son ensemble : méthode de recrutement, binôme coach-président, travail du staff », nuance Mahé. « La première année, les gens se sont dit : ils ont fait deux gros coups dans le recrutement avec Parker Jackson-Cartwright (élu MVP) et Hugo Besson (top-scoreur). Mais ce n’était pas que ça, c’est un équilibre d’effectif. Et même cette saison, personne ne peut dire qu’on avait la meilleure équipe sur le papier, ce n’est pas vrai, on n’avait pas les meilleurs joueurs, en revanche on a construit quelque chose de collectif. »

Un groupe de dix joueurs « interchangeables », aucun ne passant plus de 27 minutes sur le parquet. Une équipe championne avec un MVP de 22 ans et un meilleur jeune de 18 ans (Mathis Dossou-Yovo et Melvin Ajinça). 

“QUAND J’ÉTAIS GAMIN, LA VILLE VIBRAIT BASKET. PUIS LE PUBLIC A ÉTÉ MALTRAITÉ PENDANT TRENTE ANS, ON A TELLEMENT FAIT N’IMPORTE QUOI, TELLEMENT DE PERSONNES SE SONT MAL COMPORTÉES QUE LE SQBB A ÉTÉ ÉCORNÉ. MAIS AUJOURD’HUI, TOUT LE MONDE EST FIER, C’EST UNE FIERTÉ RETROUVÉE. C’EST ÇA, LA VICTOIRE.” Laurent Prache

 « Prendre des jeunes, les faire avancer, j’ai toujours adoré ça », explique Mahé, ancien coach des espoirs de Dijon puis Gravelines. « Dès que je suis arrivé au club, j’ai proposé cette stratégie au président. » La carte jeune s’abat a petit prix, idéal pour un club comme le SQBB, mais elle représente, plus qu’un impératif financier, une stratégie définie : « Cette saison, comme on a maintenant notre centre de formation agréé, on n’avait aucune obligation de prendre des U23, mais on l’a fait », note le coach.

LE DÉFI DE LA BETCLIC ÉLITE

La constance sur le podium pouvait laisser penser que le SQBB était calibré sportivement pour viser l’accession, mais il n’était pas programmé pour monter. « On a tellement peu de structures, des moyens clairement déphasés par rapport aux cadors », reconnaît Prache. Cette saison, en Betclic Élite, Fos-sur-Mer (qui a fini dernier) affichait le plus petit budget avec 3,3 M€, quand le SQBB pointait a 2,1 M€. « Il faut regarder la réalité en face : on sait que ça va être très compliqué », acquiesce Julien Mahé. Le club entend faire de l’immense défi de l’élite un accélérateur de particules pour se développer.

Apres avoir concentré ces dernières saisons ses efforts sur le sportif (agrément du centre de formation, machine a shooter, préparateur physique…), le SQBB espère muscler ses à-côtés, sa communication, son marketing, et compte sur « des nouveaux moyens » grâce à la ferveur populaire. « En 2020-21, Covid, huis clos, les partenaires n’ont pas vu un match, mais 60 sur 70 m’ont dit : on vous laisse l’argent. L’été dernier, quand je me suis dit qu’il fallait revaloriser le partenariat, tout le monde m’a répondu : c’est normal ! Et aujourd’hui, avec la Betclic Élite, tout le monde afflue, veut une loge, payer le double », indique Laurent Prache.

“ON VA CONSERVER NOTRE MÉTHODE”

Qui garde toutefois un cap : « Rester accessible. Saint-Quentin est une ville moyenne avec des gens qui n’ont pas beaucoup de moyens. Un abonnement 19 matches au club des supporters, c’est 60 €. Et si on en est là aujourd’hui, c’est grâce à eux. Avec cette montée, je ne veux pas y laisser notre âme. Je vais récupérer des moyens supplémentaires mais aussi sanctuariser l’accessibilité pour le grand public. Le cœur du réacteur, c’est la ferveur populaire. » Suffisant ? La question n’est pas là. « Évidemment que Basket Le Mag nous mettra 18e dans ses pronostics… mais c’est logique !», sourit Julien Mahé. « Le pognon ne fait pas tout, et heureusement. On va conserver notre méthode, travailler, et on verra. » Laurent Prache martèle une formule qui lui tient à cœur : « Faire des choses extraordinaires avec des moyens ordinaires ».

LE PUBLIC A CLAIREMENT RENVERSÉ DES MATCHES. A DOMICILE, LES JOUEURS SE SENTAIENT TELLEMENT AIMÉS, POUSSÉS, SURVOLTÉS…” Julien Mahé

Le président a prévu de bloquer tous ses week-ends pour suivre l’équipe en déplacements : « Je connais peu de salles de l’élite, je veux toutes les faire. Pour voir comment les autres travaillent, pour s’inspirer », dit-il. « Aller à Beaublanc, pour moi, wahou… », glisse-t-il, redevenant, avec ces quelques mots, l’ado de 17 ans qui se rêvait président. Le temps est passé, pour lui comme pour les milliers de supporters ivres de bonheur en fêtant l’accession. Leur montée, leur renaissance, leur histoire. Une histoire humaine. “

RÉCOMPENSES INDIVIDUELLES : DEUX TALENTS FRANÇAIS

Le SQBB a tout raflé en Pro B. Élu meilleur coach, Julien Mahé présente Mathis Dossou-Yovo (2,04 m, 22 ans), le MVP, et Melvin Ajinça (2,03 m, 18 ans), le meilleur jeune.

MATHIS DOSSOU-YOVO portrait

MATHIS DOSSOU-YOVO Le rebond et l’efficacité

« La Pro B est le territoire idéal pour donner du temps de jeu aux jeunes Français, et c’est aujourd’hui dans les mœurs : regardez le MVP », commence Mahé. A Stéphane Gombauld, sacré en 2022 avec Nancy a 25 ans, a succédé Mathis Dossou-Yovo, 22 ans, qui a devancé Bastien Vautier (24 ans, Nancy). Le talent et le potentiel de Dossou-Yovo sont connus depuis des années. En Pro B, il s’était révélé, mais lui restait a exploser. Et c’est en quittant Chalon sur- Saône, où il était l’an passé une rotation, pour l’Aisne qu’il a pu s’épanouir. « On l’a motivé sur les aspects de rebonds », indique le coach.

Message reçu : son pivot a capté 8,4 prises en moyenne (2e), ajoutant 16,2 points (10e) pour 17,6 d’évaluation (5e) en 26 minutes. Sa constance a la marque et le bilan collectif furent ses deux atouts majeurs pour le trophée de MVP. « J’ai rarement coaché un intérieur qui a eu autant de ballons !», s’amuse son entraîneur. « Il le sait, il en parle quand on lui évoque son trophée de MVP, et ce n’est pas la fausse modestie : il a été mis en valeur. Mais il a su en profiter !» De quoi intégrer la nouvellement créée Select Team France, sorte de sélection A’ pour jeunes talents. L’ascension continue.

MELVIN AJINÇA portrait

MELVIN AJINÇA. Décollage enclenché

Courtisé à sa sortie du Pôle France l’été dernier, Melvin Ajinça a choisi le SQBB pour Julien Mahé et le projet présenté. « Quand on le prend, il sait qu’il aura un espace. On ne promet jamais rien, mais on met en place un effectif où il est le seul dans son rôle, shooter-défenseur, pour qu’il puisse s’exprimer », explique Mahé. « Et on travaille. » Notamment le tir. « Quand il est arrivé, il n’était vraiment pas très bon shooter, mais il a beaucoup bossé. » De quoi finir à 39 % à longue distance, et surtout 18 minutes de moyenne, pour 8,5 points.

Cousin d’Alexis Ajinça, Melvin, déjà pisté par les franchises américaines, a la NBA dans le viseur. Mais sans vouloir bruler les étapes. « Il est ambitieux, mais il a les pieds sur terres et est très bien accompagné. Quand on prend un jeune, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Mais ce qui est sûr, c’est que quand ils viennent chez nous, ils doivent bosser plus que les autres, ils n’ont pas le choix. Et si la deuxième partie de saison de Melvin a été remarquable, c’est dû à son travail. » Ses trois dernières sorties : 16, 18 puis 14 points. Prometteur.

Extrait du numéro 75 de Basket Le Mag (juin 2023)

Retrouvez l’intégralité des articles dans le numéro 75

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