Deux Européens ont participé au premier match NBA en 1946 : l’Allemand Hoefer et l’Italien Biassatti. Quarante ans plus tard, ils n’étaient que cinq. Puis, tout s’est accéléré. Aujourd’hui, ils sont soixante-dix.

Par Didier LE CORRE

Aussi incongru que cela puisse paraître, le premier match officiel de la NBA ne s’est pas déroulé aux États-Unis mais bien au Canada. En effet, ce 1er novembre 1946, ils étaient 7 090 spectateurs au Maple Leafs Garden, à Toronto, venus assister au coup d’envoi de la BAA, la Basketball Association of America, qui deviendra la NBA trois ans plus tard, après sa fusion avec la NBL (National Basketball League).
De ce match, il reste une maigre fiche de stats où on note la présence de deux joueurs européens dans l’équipe de Toronto : l’Allemand Charlie Hoefer, né à Francfort, qui inscrira huit points, et l’Italien Hank Biasatti, originaire de Beano, près d’Udine, qui entrera en jeu sans marquer le moindre point. Étaient-ils les seuls Européens de ce qui est considéré comme la première rencontre officielle en NBA ? Personne n’en sait rien, car le lieu de naissance de certains joueurs qui participèrent à cette saison inaugurale s’est à jamais perdu dans les limbes de l’histoire. Qui étaient cette trentaine de joueurs aux patronymes allemands (Becker, Kottman, Rensberger…), nordiques (Jorgenson), Est européens (Bytzura, Janisch, Lalich, Lefkowicz, Pashtushok…) ou italiens (Fucarino, Negratti) ? Le mystère reste entier.
Faute de mieux, la NBA retient donc, que pour cette première saison officielle, le contingent originaire du Vieux Continent était constitué de six joueurs : les Allemands Charlie Hoefer et Frido Frey, l’Italien Hank Biasatti, le Polonais Lee Knorek, le Néerlandais Hank Beenders et l’Anglais Woody Grimshaw. Parmi ces joueurs, seul Knorek, né à Varsovie, un beau gaillard de 2 m et 100 kg, eut une vraie “carrière”, disputant 131 matches au long de ses quatre saisons.
Il fallut attendre ensuite cinq ans et la saison 1955-56 pour noter l’arrivée en NBA d’un septième joueur, l’Anglais Christopher Harris, qui y resta assez brièvement (une saison, vingt-deux matches). Puis, cinq ans se déroulèrent encore avant que n’entre en jeu le premier vrai Européen d’impact : Tom Meschery, de son vrai nom Tomislav Meshcheriakov, un Russe dont la famille avait fui la Révolution de 1917. Formé au basket US, star de la petite fac de St. Mary’s, choisi en n°7 de la draft, “The Mad Russian” fut un des joueurs majeurs de la NBA des sixties. Entre Philadelphia, San Francisco et Seattle, cet ailier costaud et féroce défenseur participa à 778 matches en dix saisons, inscrivant 9 904 points. Une performance seulement surpassée par Andre Kirilenko (9 431 points) parmi le futur contingent russe.

Tom Meschery, premier vrai Européen d’impact. Ici devant Wilt Chamberlain.

 

Le temps des pionniers
Meschery fut pendant douze ans le seul et unique Européen de la NBA. Et quand ce Russe, né en Chine, décida d’arrêter sa carrière en juin 1971, s’en suivirent deux saisons complètes sans la présence d’un joueur du Vieux Continent dans la ligue. Ce sera la dernière fois. L’arrivée d’un autre immigré, le Néerlandais Swen Nater, en novembre 1973, fut le point de départ d’un autre phénomène qui dura pratiquement une quinzaine d’années : la signature de quelques joueurs européens passés par la formation américaine.
En plus de Swen Nater, arrivèrent ainsi le Roumain Ernest Grunfeld, dont la famille avait fui le communisme, puis le Danois Lars Hansen et l’Islandais Pétur Gudmundsson. Arrivé à l’âge de 9 ans aux États-Unis, naturalisé américain à 21 ans, Grunfeld flamba en NCAA sous le maillot de Tennessee au point d’être sélectionné dans l’équipe américaine qui remporta les Jeux Olympiques en 1976 à Montréal. S’en suivit une solide carrière NBA avec une réputation de joueur cérébral qui le mena assez logiquement à intégrer en 1990 la direction des Knicks. Il est aujourd’hui le general manager des Washington Wizards.
Le passage du grand Danois Lars Hansen (2,11 m) en NBA fut moins prolixe puisqu’il se résuma à quinze matches avec Seattle en 1978-79. Lui-aussi enfant d’immigrés qui s’établirent au Canada, Hansen passa pourtant l’essentiel de sa carrière de ce côté-ci de l’Atlantique, entre l’Italie et l’Espagne. Il termina d’ailleurs top-scoreur de la Liga ACB en 1981. Quant à l’immense Islandais Pétur Gudmundsson (2.18 m), envoyé apprendre très tôt les fondamentaux du jeu dans un lycée près de Seattle, avant d’intégrer l’université de Washington, sa carrière NBA fut celle d’un intermittent, puisque ses passages à Portland, aux Lakers et à San Antonio furent entrecoupés par des saisons complètes en Islande, en Angleterre et en CBA.

Le tournant de 1985
Dans ce début des années 1980, de plus en plus de jeunes Européens commencent alors à rejoindre les rangs de la NCAA, à l’instar de quelques Français comme Alain Forestier et Rudy Bourgarel (Marist) ou Éric Fleury (Siena). Les premiers à en tirer bénéfice sont les Allemands qui comptent sur une quinzaine de jeunes joueurs en université. Parmi eux, deux s’imposent : le grand et très appliqué, mais un peu raide Uwe Blab (2,16 m) et l’athlétique Detlef Schrempf (2,06 m). Tous deux sont draftés en 1985. Schrempf en n°8 et Blab en n°17. Si Blab ne sera finalement qu’une modeste variable d’ajustement pendant ses quatre saisons (2,1 points et 1,8 rebond de moyenne), Schrempf connaîtra une grande carrière qui le verra disputer une finale NBA en 1996, trois All-Star Games ou encore d’être élu deux fois Meilleur sixième homme de la ligue
Sans que personne ne s’en rende véritablement compte, on assiste à un véritable tournant en cette année 1985. Schrempf et Blab ne sont pas les seuls Européens draftés en ce mois de juin. De un ou deux joueurs retenus d’habitude, et tous estampillés NCAA, on passe soudainement à six, avec le solide pivot espagnol Fernando Martín, l’immense (2,21 m) Allemand Gunther Behnke, l’ailier finlandais Timo Saarelainen et le costaud Bulgare Georgi Glouchkov. Seul Saarelainen (Brigham Young) provient du championnat universitaire. Martín, Behnke et Glouchkov, eux, n’ont jamais mis les pieds aux États-Unis. Ce sont les prémices d’un mouvement global que personne ne soupçonne alors.
Et alors qu’ils snobaient totalement jusque-là les grandes épreuves européennes, les scouts NBA sont bien présents lors de l’Eurobasket qui suit, organisé à Stuttgart et Karlsruhe, en Allemagne. Beaucoup d’entre eux découvrent alors véritablement le talent de quelques joueurs européens. Ils sont impressionnés par Sabonis, Volkov, Tikhonenko, Petrović, Vranković, Villacampa ou Martín… Tous sont approchés par des émissaires des clubs NBA.

1989 : Le déclic
Après la réussite de deux pivots passés encore par la NCAA (Rik Smits et Christian Welp), les dirigeants de la grande ligue US se décident enfin. Trois des grandes stars de la Yougoslavie (Dražen Petrović, Vlade Divac et Žarko Paspalj) et deux de l’URSS (Šarūnas Marčiulionis et Alexander Volkov) signent des contrats. À l’exception de quelques rares pépites (Gális, Bodiroga, Papaloukás ou Diamantídis), tout ce que le basket européen produit comme talents va suivre la trace de ces glorieux aînés : Kukoč, Radja, Mureșan, Sabonis, Nowitzki… L’internationalisation, mais surtout l’européanisation de la NBA est en marche
Aujourd’hui, 24,4% des joueurs de la ligue ne sont pas Américains. Un sur quatre donc. Parmi eux, les Européens sont majoritaires avec 14,2% des joueurs. La totalité des trente équipes en possède au moins un sous contrat, jusqu’à San Antonio et Utah qui en présentent quatre dans leur effectif, et New York qui en a six. La marche en avant est inéluctable. Peut-être pas aussi vite que ce qu’avait projeté Andrei Kirilenko en 2000 – “Dans vingt ans (en 2020), les joueurs NBA seront à 40% Européens” -, mais leur présence a quand même été multipliée par dix depuis 1993…

Article extrait du numéro 17 de Basket Le Mag